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Ces événements qui n’en sont pas

Difficile de ne sortir qu’un article du très dense hors série annuel du journal La Décroissance. Consacré aux relations troubles entre la presse, la publicité et l’argent, il contient une analyse de François Brune sur Ces événements qui n’en sont pas [1]. « L’information n’est plus le miroir du monde : elle est une fabrique d’ »événements-produits« , obéissant aux lois de l’économie de marché ». Ces biens doivent être ciblés, consensuels, minutés, rythmés, et avoir l’air nouveaux. « Il n’est en définitive que le produit d’appel qui, en accrochant et fidélisant l’audience, l’entraîne dans un tunnel publicitaire dont elle ne sortira plus. ».

Et quand l’actualité ne propose rien en pâture (attentats, scandales, catastrophes naturelles), il reste toujours possible de créer l’événement : par un sondage, par exemple, ou par de faux débats, par les dates anniversaires d’événements passés. Ou encore de gonfler un événement sans importance, notamment en insistant sur les moyens techniques mis en œuvre. Dans son analyse, François Brune démontre que l’idéologie de la consommation rapproche médias et publicité : on consomme des nouvelles, des informations, des événements, comme de simples marchandises. Toujours plus, toujours plus vite, dans un besoin irrépressible à la fois de faire comme tout le monde, illusion de domination par la technique.

A lire aussi dans ce numéro, un entretien avec Raymond Aubrac, membre du gouvernement provisoire en 1944 qui avait émis des ordonnances réglementant strictement les liens entre la presse et l’industrie. Sophie Divry analyse en détail cette ordonnance du 26 août 1944, dont pourrait s’inspirer un gouvernement décidé à rétablir les conditions d’une presse indépendante. Le collectif PLPL (Pour lire pas lu) [2]signe un papier cinglant sur la confusion des genres entre médias et publicité, révélant que le chiffre d’affaires de la publicité (intégré évidemment dans le prix des produits que nous achetons) atteint 31 milliards d’euros en 2004. Soit 1200 euros par ménage et par an...

Enfin, Pierre Rimbert raconte Comment Libération se convertit à la publicité, en rappelant que la pub n’y avait pas sa place au début, du moins jusqu’en février 1982, quand Serge July se laisse convaincre par Séguéla de devenir « le Decaux de la presse quotidienne ». Decaux, vous savez, celui des sanisettes et des panneaux 4x3 qui défigurent nos entrées de ville... Vingt ans plus tard, comme le proclame la revue Stratégies, « Libé est devenu une marque ».

[1extraite de son dernier livre, De l’idéologie, aujourd’hui, éditions Parangon

[2qui vient de fusionner avec le journal amiénois fakir pour créer Le plan B, à paraître en janvier prochain