En Grande-Bretagne, on les appelle plutôt des stewards, mais le fait est qu’ils ne décollent jamais et qu’ils ne risquent pas de croiser une hôtesse de l’air dans l’exercice de leur activité. Au bord de l’insolation en juin, menacés d’engelures enjanvier et trempés jusqu’aux os par les averses d’octobre, ils sont là, stoïques pendant deux heures, debout au pied de la tribune. Ce sont les - stadiers.
Dans un stade, ils sont les seuls à ne pas s’intéresser au rectangle de pelouse baigné par la lumière crue des projecteurs. Derrière eux, au-delà de la barrière constituée par les panneaux publicitaires, Ronaldinho, Ballack, Beckham, Riquelme ou Totti multiplient les passements de jambes, les centres brossés ou les contrôles orientés. Dos tourné à l’action, dans ce monde intermédiaire qui regroupe, entre la touche et la tribune, juge assistant, photographes, cameramen et ramasseurs de balles, les stadiers ne font rien. Enfin, pas exactement : ils regardent ceux qui regardent. Tels les héros involontaires de l’allégorie de la caverne de Platon, ce n’est pas la réalité du match qu’ils observent, mais les effets de cette réalité sur le public des tribunes. Un peu comme les supporters qui, entrant dans le champ d’une caméra, s’aperçoivent immédiatement sur les écrans géants du stade, et font de grands gestes des bras, dans un saisissant effet miroir propre à notre époque surmédiatisée.
En période de Coupe du monde et de grosses chaleurs, le stadier peut au moins admirer les audaces vestimentaires des supportrices brésiliennes ou suédoises, et les horreurs carnavalesques des fans allemands ou hollandais. Hélas, sa mission n’est pas de se rincer l’oeil, mais de contenir tout débordement du public, en particulier quand nulle barrière ne sépare ce dernier de l’aire de jeu. Mission pas impossible, mais compliquée : soit il laisse passer un streaker, ce supporter généralement nu comme un ver (et pas forcément fan de Saint-Étienne) qui gambade sous les optiques des caméras pour quinze secondes de célébrité, soit il tente de le rattraper, et là, il déserte son poste et ouvre des brèches dans le dispositif. On se souvient de l’invasion du terrain de Saint-Denis en octobre 2001, lors du match France-Algérie. À un quart d’heure de la fin, la rencontre avait dû être arrêtée tant il y avait du monde sur la pelouse. Les stadiers, bien entendu, n’avaient rien pu faire.
Il y a aussi un cas inverse, plus rare, où ils peuvent être amenés à intervenir : quand un joueur lassé par des insultes proférées en continu décide de se faire justice lui-même en allant faire le coup-de-poing dans la tribune. L’exemple le plus célèbre est celui d’Éric Cantona, en janvier 1995 avec Manchester United.
Pris entre le marteau du terrain et l’enclume des gradins, le stadier trompe son ennui en espérant vaguement qu’il se passe quelque chose. Afin que lui aussi ait droit à ses quelques secondes de postérité.