S’il y a bien deux raisons pour lesquelles j’aime la version internet d’Arrêt sur images, à laquelle je suis abonné depuis deux ans, c’est tout d’abord sa souplesse, et ensuite la façon dont son équipe fait partager aux asinautes ses secrets de fabrication. D@ns le film, déclinaison cinématographique de l’émission littéraire D@ns le texte animée par Judith Bernard, a ainsi vu le jour de la façon suivante : Judith invite Régis Debray pour D@ns le texte. Dans cette émission, l’ex-compagnon du Che fait l’éloge d’Avatar.
Après l’émission, Judith en fait un long article pour exprimer sa surprise et donner son point de vue, qu’elle titre Avatar, ou la bêtise désirable ? [1]. Dans le forum attaché à l’article, un asinaute cinéphile, Rafik Djoumi, fait un très long et très structuré contre-argumentaire. Daniel Schneidermann décide alors de publier comme un article la réaction de Djoumi (Et si Avatar était un objet d’art ? [2]). Dernière étape, une émission en bonne et due forme consacrée à l’analyse d’un film (Avatar, donc) et de ses soubassements technologiques et mythologiques.
Tous ces éléments, et bien d’autres (comment improviser un nouveau décor en quelques heures ?, le choix de tourner l’émission en 16/9e), Daniel Schneidermann les raconte dans la rubrique Making-of déjà utilisée pour évoquer l’organisation de l’équipe, son déménagement, le choix de refuser les aides publiques (le site est financé exclusivement par les 30 000 abonnés) ou encore les modifications apportées aux émissions. « Ce qui ne cesse de m’émerveiller, c’est la souplesse que nous offre ce média, cette liberté d’inventer une émission comme on respire, et à propos de respiration, l’oxygène que nous donne votre respiration collective à vous », constate Schneidermann.
Bien. Et l’émission, alors ? Premier constat, avec quatre invités (plus Judith qui l’anime), elle ne permet pas à chacun de s’exprimer correctement. Alain Korkos, qui tient une chronique sur le site consacrée à l’analyse des images, a du mal à développer son propos, la réalisatrice Anne Murat n’en place quasiment pas une, le philosophe Michel Cazenave est moyennement intéressant et Rafik Djoumi (le cinéphile auteur du contre-argumentaire évoqué plus haut) prend presque toute la place. C’est lui qui est convaincu du fait qu’Avatar est le premier film du XXIème siècle, comme Titanic avait été le dernier du XXème.
Du coup, l’émission, trop longue (1h46), nous laisse frustrés, malgré la diffusion de trois extraits conséquents d’Avatar. Il reste toutefois de bons passages, comme celui sur l’apport réel non pas de la 3D, mais du procédé de motion capture (des capteurs de mouvements placés sur les acteurs pour les reconstituer dans une image virtuelle), du rapport à l’altérité et la différence, de la fidélité du film aux mythes fondateurs, et de la question, centrale, de son originalité profonde.
C’est là où le discours de Rafik Djoumi atteint ses limites, notamment quand il prétend que la scène du baiser entre Jack et Neytiri (au milieu exact du film) est la première du genre, alors qu’elle est d’un classicisme parfait. Rafik se justifie en disant que Cameron ne peut pas à la fois être très innovant d’un point de vue technologique et très audacieux dans la forme du récit. A ce compte-là, Kubrick n’aurait jamais fait 2001, l’odyssée de l’espace...
Au final, j’ai appris plein de choses dans cette émission brouillonne mais riche. Quant à mon point de vue sur le film, il n’a pas changé : c’est une superproduction somme toute classique, avec un scénario d’une grande pauvreté et qui souffre d’une contradiction profonde entre son discours et les moyens engagés.