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Mondissimo diplomatique à Aubagne

La rédaction du Monde diplomatique était à Aubagne samedi 8 octobre pour le lancement du forum local Mondissimo. Serge Halimi, Alin Gresh et leurs collègues ont parlé pendant plus de deux heures sur le nouvel ordre mondial de l’information, de Wikileaks à Al Jazeera.

Une autre presse est possible

Le Diplo partenaire de Mondissimo, le forum social mondial organisé par la Ville d’Aubagne (jusqu’au 15 octobre), c’était une évidence. Car, comme l’a précisé Serge Halimi (directeur du journal) sur la scène du Comœdia lors de la table ronde « Un nouvel ordre mondial de l’information, de Wikileaks à Al Jazeera », « la presse a tendance à privilégier les faits divers à l’information internationale » alors qu’il est rare « qu’une ville invite un journal qui ne traite pas l’actualité de son territoire. Mais ce que fait Aubagne entre en résonnance avec la ligne rédactionnelle du journal, notamment la défense des services publics ou la gratuité des transports ».

Daniel Fontaine, le maire d’Aubagne, avait d’ailleurs lancé les débats en se demandant « de quoi se mêle une ville ? On pourrait se contenter de boucher les trous, d’entretenir les feux tricolores, de veiller à la sécurité. Mais ici on ne se contente pas de ça. Le monde nous regarde, et nous sommes à l’intérieur du monde. Il y a de l’espoir et on va le construire. »

Au cours du débat, il a d’abord été question de la position originale du Monde diplomatique dans le paysage médiatique français : si le journal Le Monde est actionnaire majoritaire (à 51%), la société des rédacteurs et les Amis du monde diplomatique (4000 lecteurs) se partagent le reste. « Notre indépendance est pleine et entière, affirme Serge Halimi. Ce qui fonde notre indépendance, c’est le lien avec nos lecteurs, pas les ressources publicitaires qui sont très faibles. »

La connivence entre les médias et le milieu politique d’une part, et l’industrie de l’autre a été dénoncée. « Les principales fortunes de France nous informent sur ce que font les principales fortunes de France. Ça aide, forcément. » La concentration des groupes de presse s’est accrue ces dernières années, faisant passer le groupe Hersant des années 70 pour une aimable PME. « Mais de nouveaux acteurs chamboulent le paysage : Internet, Al Jazeera ou Wikileaks ».

Sur ce dernier, Philippe Rivière (journaliste et responsable du site internet) a retracé rapidement la genèse de la cryptographie, de l’anonymat et du piratage ainsi que de la montée d’un journalisme citoyen, des blogs, des sites d’opposants ou des listes de diffusion militantes. « Au départ, Wikileaks était essentiellement une boîte postale sécurisée qui permettait de recueillir des informations sensibles sans que leurs auteurs ne s’exposent. »

Mais curieusement, la presse s’est plus intéressée à la façon dont Wikileaks s’est procuré des documents confidentiels (notamment les 250 000 câbles diplomatiques américains) qu’au contenu même de ces documents. « Nous avons travaillé avec OWNI à mettre en place des applications permettant de naviguer facilement dans cette documentation, mais le résultat a été décevant. »

Grand spécialiste du proche-orient, Alain Gresh a ensuite évoqué la chaîne Al Jazeera. « Elle a été créée en 1996 au Qatar avec l’appui des Etats-Unis, mais elle a très vite développé une vision du monde très différente des médias occidentaux, notamment entre la deuxième intifada en 2000 et l’attaque américaine en Afghanistan à l’automne 2001. » Gresh a décrit le rôle complexe du Qatar entre le monde arabe, les Etats-Unis et Israël, ainsi que des luttes de clans au pouvoir qui laisse à Al Jazeera une marge de manœuvre conséquente.

L’essor d’Al Jazeera a favorisé l’émergence de chaînes nouvelles dans les pays arabes, et a ouvert le paysage médiatique, rendant plus difficile la propagande d’état. Mais depuis cette année et notamment le renversement du régime lybien, « on constate une dérive propagandiste de la chaîne, car le Qatar soutient la rebellion. Les informations ne sont pas vérifiées, il y a un manque de professionnalisme qui était pourtant remarquable auparavant. »

Mona Chollet est quant à elle revenue sur la place qu’Internet a prise dans le paysage médiatique. « A ses débuts, il était assimilé au diable, y compris dans la presse. Rares étaient ceux qui imaginaient ce qu’il allait devenir, la façon dont il allait modifier profondément notre rapport à l’information. L’apport essentiel d’Internet, la vraie révolution, c’est l’appropriation de l’information par les citoyens, la mise en place d’une sorte de service après-vente collectif très efficace. »

Pour Alain Gresh, Internet n’est pas fondamentalement différent de la presse écrite.« Ce qui compte, ce n’est pas le support, mais l’économie de la presse. Les gens utilisent simultanément les journaux papier, la radio, la télévision et Internet. Mais le grand intérêt d’Internet, c’est de créer de la contre-information. » Serge Halimi nuance toutefois en rappelant que « sans les abonnés et les lecteurs du journal papier, il n’y aurait pas de site du Monde diplomatique. L’info gratuite n’existe pas. Le travail journalistique coûte cher. »

Sur la question des contre-pouvoirs médiatique, Laurent Bonnelli a évoqué le cas de la télévision publique : « elle fait partie d’un système médiatique qui consiste à chercher de la pub en luttant sur le marché de l’audience. Elle ne développe donc pas une vision alternative des autres médias audiovisuels. Il n’y a qu’à voir le nombre de transferts de journalistes et de producteurs d’émissions entre le privé et le public, dans les deux sens. Un contre-pouvoir de l’information doit être en rupture avec le secteur privé comme avec le secteur public. »

Le Monde diplomatique, le Canard Enchaîné et quelques sites d’information en ligne jouent pour l’instant ce rôle. L’avenir dira si les médias traditionnels et ceux qui les contrôlent finiront par avoir le dessus.


Mondissimo épisode 1 par mondissimo