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Un contre-sommet de résistance à Lyon

Plus de six cents personnes ont participé au Contre-Grenelle de l’environnement à Lyon le 6 octobre. A l’initiative de La Décroissance et Casseurs de pub, en partenariat avec, entre autres, la Confédération paysanne, le Sarkophage, la CRIIRAD, Alternatives non-violentes, Sortir du nucléaire, cette journée a abordé les thèmes interdits de séjour au Grenelle gouvernemental : autoroutes, nucléaire, publicité, grande distribution... Une vingtaine de contre-propositions ont été avancées.

Il faut toujours faire attention au sens que l’on donne aux mots. Grand adversaire de Mai-68, Nicolas Sarkozy a pourtant choisi de baptiser « Grenelle » son sommet sur l’environnement. Or, rappelle Bruno Clémentin, « les accords de Grenelle ont été signés après le plus grand mouvement social que la France ait connu depuis le Front populaire. Aujourd’hui, qui est en grève ? Que représentent les associations ? Et le gouvernement ? Et le patronat ? Quel est le sens d’un Grenelle de l’environnement au moment ou est mise en place une commission pour la libération de la croissance ? » Pour Paul Ariès, « le sarkozysme est incompatible avec l’écologie. Le Grenelle est une OPA inamicale sur l’environnement, alors que se met en place une politique qui prône le culte de la richesse, de la croissance, du travail et de la propriété. »

Sophie Divry présente pour sa part les écotartuffes qui cautionnent l’initiative gouvernementale, et dont Nicolas Hulot, Yann Artus-Bertrand et Jean-Louis Borloo sont les représentants médiatiques. Elle définit « le greenwashing, que l’on pourrait traduire par »blanchiment vert« , ou comment repeindre en vert le capitalisme de papa ».

Pour le mouvement Alter Ekolo, Francine Bavay, « l’alternative existe déjà, elle est émergente. Il faut lui donner de la lisibilité, de la légitimité. Il faut dialoguer avec les associations qui participent au Grenelle, et avec celles qui n’y sont pas allées. »

Vincent Gay, de la LCR, rappelle que le MEDEF et la FNSEA sont des acteurs centraux du Grenelle. « Le discours dominant nous dit que chacun est responsable des conséquences environnementales. L’écologie doit être anticapitaliste, ses critères sont extérieurs à la logique capitaliste ».

Pompiers pyromanes et SMS pour la planète

L’orateur le plus brillant de la matinée aura été sans conteste le représentant du réseau Sortir du nucléaire, Stéphane Lhomme. « Le Grenelle n’est rien d’autre qu’une négociation avec les pollueurs. C’est comme si on imaginait que des pompiers demandent à des pyromanes s’ils seraient d’accord pour allumer moins d’incendies l’été prochain. » Et il raconte comment des associations montées de toutes pièces ont été intégrées, par volonté élyséenne, au groupe des neuf chargées de préparer le Grenelle. Il décrit avec un humour féroce le ridicule cérémonial du 1er avril (une date évocatrice) organisé par Nicolas Hulot au Trocadéro, et son « message à la planète » (envoyé par SMS). Il révèle enfin comment le réseau Sortir du nucléaire avait annoncé, le premier, que la libération rocambolesque des infirmières bulgares avait été négocié contre la fourniture par la France de centrales nucléaires à la Lybie.

« Le concept de gouvernance tend de plus en plus à remplacer celui de gouvernement », constate Geneviève Azam, du conseil scientifique d’Attac. « C’est la négation du politique, dont la mission est de trancher entre les intérêts privés et l’intérêt général. J’entends dire que si nous refusons la croissance, c’est que nous avons peur. C’est faux, nous n’avons pas peur. Ce n’est pas nous qui mettons en place une société sécuritaire, qui installons des caméras de vidéosurveillance, qui parlons de tests ADN. »

Pour l’Acrimed, Henri Maler accuse les médias dominants de « transformer les catastrophes écologiques en spectacle des catastrophes », et de s’évertuer à effacer le lien entre la question écologique et la question sociale. « Si un autre monde est possible, d’autres médias sont nécessaires. » On pourrait citer, à titre personnel, Le Monde diplomatique, La Décroissance ou le Sarkophage.

L’économiste Bernard Guibert (Alter Ekolo) se demande, à travers le Grenelle, à qui profite le crime. « Il faut miser à fond sur la démocratie participative, et utiliser l’effet Dracula comme à Seattle en 1999. » [1]

Le maire de Grigny, René Balme, précise pour sa part que sa commune est « hors AGCS, hors OGM et hors expulsions locatives ». Un budget participatif conséquent est voté chaque année par ses habitants. « Le pouvoir confisqué par les multinationales, il faut le rendre aux élus. Les élus locaux sont le dernier rempart contre l’ultralibéralisme. »

Une dette autoroutière payée par les Villes

L’après-midi a été consacré aux thèmes qui fâchent, ceux que le Grenelle officiel a préféré écarter de son programme. Notamment l’extension du réseau autoroutier, avec le témoignage de Julien Milanesi sur l’A65 entre Pau et Langon. « Pour que ce tronçon soit rentable, le trafic routier doit doubler d’ici 2020, ce qui est une aberration. Et si le trafic ne double pas, la dette est prise en charge par les collectivités locales. Cette autoroute va déjà coûter 1,2 milliard d’euros, l’équivalent de 15 lycées. »

Véronique Gallais, du collectif français contre l’irradiation des aliments, a dressé un tableau plus que préoccupant de ces techniques employées par l’industrie agroalimentaire pour stocker et transporter des produits frais. Pour la CRIIRAD, Roland Desbordes constate que pour le gouvernement, le nucléaire est une solution, pas un problème. Et qu’en matière de fraude sur la sécurité des installations nucléaires, il n’hésitait pas à modifier les lois afin que les fraudeurs ne soient pas poursuivis. Et de constater avec amertume : « depuis Tchernobyl, l’Etat a beaucoup progressé en matière de communication. »

Tchernobyl, justement, Gérard Boinon, paysan de la Bresse, peut en parler. En 1987, quelques mois après la catastrophe, la moitié de son cheptel est mort. « Des veaux sont nés avec trois pattes, ou deux têtes. L’un d’eux est même né sans cuir. Je n’avais jamais vu ça. » Mais, selon la version officielle, aucune contamination radioactive n’avait touché la France. Ce n’est que bien plus tard, en 2002, que Gérard apprendra que son village a été l’un des points les plus touchés par les retombées, dans les premiers jours de mai 1986. Il explique aussi qu’une revue professionnelle agricole annonce le grand retour du DDT, un poison nécessité par la résistance des plantes OGM. 

La grande distribution se fait discrète

L’économiste Christian Jacquiau s’étonnait pour sa part que la grande distribution soit absente du Grenelle officiel. C’est pourtant elle qui depuis un demi-siècle a bouleversé les habitudes de consommation des Français, et étranglé les producteurs avec ses centrales d’achat. « Il y a aujourd’hui 1000 hypermarchés et 10 000 supermarchés dans le pays. Alors que 18 000 communes, soit une sur deux, n’ont plus le moindre commerce de proximité. Toutes les vingt minutes, un paysan abandonne son exploitation. » Et de conclure : « un autre monde est indispensable, mais ce ne sera possible qu’en changeant de mode de distribution. »

Pour conclure la journée, le directeur de la revue Alternatives non violentes, François Vaillant, a retracé l’historique de la désobéissance civile, de Henry David Thoreau aux faucheurs volontaires en passant par Gandhi, Martin Luther King ou les militants du Larzac. « Au gouvernement et au législateur, je dis : bon courage ! » Juste avant les vingt contre-propositions de Paul Ariès, c’est Vincent Cheynet qui avait le mot de la fin, en affirmant que « la première des décroissances est celle des inégalités. Montaigne l’a dit : pas de pouvoir sans contre-pouvoir ».

[1qui avait permis de médiatiser le projet d’accord multilatéral sur les services (AMI), récemment reproposé dans le cadre de l’AGCS (accord général sur le commerce des services)

Le compte-rendu de la journée, une (courte) revue de presse et les vingt contre-propositions de Paul Ariès sont disponibles sur le site du contre-Grenelle.