Et puis s’en vont... d’Eric Franceschi - éditions Parenthèses

, par Bruno

Vingt-cinq ans à les photographier, les politiques. Autant dire qu’Eric Franceschi en connait un rayon sur eux, sur leurs petites manies, sur leur façon de se mettre en scène, sur leur sourire forcé et leur main posée sur l’épaule d’un ennemi juré. Et puis s’en vont... est aussi un témoignage sur le temps qui passe, qui creuse les visages et voûte les corps.

TROIS PETITS TOURS}

Il y a les photos qui font peur, comme celle d’un Le Pen à la tempe suante à Toulon en janvier 1994. Celle qui font sourire, comme celle de Bernadette Chirac accompagnée par une vieille grimaçante de carnaval à Avignon en janvier 2001. Celles qui étonnent, comme ces bulletins de vote dans des présentoirs à couverts de cantine, à Marseille en mai 2002. Et celles qui touchent, comme les larmes de Ségolène en très gros plan.

Les premières photos politiques d’Eric Franceschi, né en 1962, datent de 1981. Un meeting du PCF au stade vélodrome ou Mitterrand en campagne, vestiges lointains d’une époque révolue. Jusqu’aux toutes dernières, prises en janvier 2007 lors de la dernière campagne présidentielle, le regard est le même : décalé, attentif, sans concession, cherchant l’angle révélateur, l’instant décisif comme disait Cartier-Bresson. Et il y parvient, le bougre.

Pour avoir travaillé deux mois avec lui à mon arrivée à Gardanne qu’il allait quitter, j’ai pu observer sa façon étonnante de travailler, sa recherche d’angles originaux, sa manière de tourner autour de son sujet jusqu’à trouver le cadre qui allait mettre en évidence le non-dit, le sens caché des choses. Certaines photos de Bernard Tapie relatent une visite du président de l’OM à un moment crucial de sa carrière, en février 1993. Il venait de retrouver le ministère de la Ville, et l’OM allait bientôt remporter la coupe d’Europe. Qui sait s’il ne pensait pas à l’Elysée à ce moment-là ? L’affaire VA-OM balaierait toutes ces ambitions. Les images d’Eric Franceschi témoignent de la démagogie à l’œuvre de l’affairiste (Sarkozy n’a rien inventé) et de la cour qui l’entourait en permanence.

Il y a aussi ces magnifiques rimes visuelles dont Eric Franceschi raffole (voir sur son site) : Léotard sortant d’une charcuterie à l’enseigne d’un cochon en face de Mamère attachant sa serviette sur le porte-bagage de son vélo, Jospin sur l’écran d’un portable en regard d’une télé posée sur deux chaises diffusant l’image de Cohn-Bendit, ou encore les maires ruraux de la Capelle-Bonance et de Pomayrols (dans l’Aude) au côté de Marie-Josée Roig posant dans l’immense salle des mariages d’Avignon.

Il y a enfin les marques du temps qui creusent les visages, celui de Chirac par exemple, cigarette au bec et bras levés pour soutenir Gaudin en 1983, ou la main sur le front lors d’une visite à Marseille en 2004. Au temps des militants et des encartés, en 1981, a succédé celui du grand cirque médiatique du 21ème siècle et de ses images sous contrôle. Par son travail et son regard singulier, Eric Franceschi fait la jonction entre les deux et nous tend un miroir : comment avons-nous changé, nous qui regardons ces images ?