Une exposition sur Stanley Kubrick, à quoi ça sert ? Tous les films sont disponibles en DVD (excepté, hélas, le tout premier, Fear and Desire, dont Kubrick a ordonné la destruction de toutes les copies en circulation), de nombreux livres ont été consacrés à son œuvre [1] et il est facile de trouver en ligne des conférences passionnantes, de Michel Ciment notamment.
L’intérêt de cette expo, qui a battu des records de fréquentation (140 000 visiteurs en quatre mois), réside au moins autant, et probablement plus, dans ce qui est caché que dans ce qui est montré [2]. Dans cette dernière catégorie, il y a des photos de tournage, les affiches originales des films, des accessoires plus ou moins fétichistes (une chaise pliante), des costumes (du casque de Bowman dans 2001 à celui de Modine dans Full Metal Jacket en passant par l’habit de Ryan O’Neal dans Barry Lyndon) et des extraits de films projetés sur les murs, ce qui est de loin le moins intéressant mais qui, comme toute image animée et sonorisée, capte inévitablement l’attention des visiteurs.
La première catégorie est précieuse d’une part parce qu’elle montre l’envers du décor, mais aussi parce qu’elle dévoile des informations précieuses sur les trois films que Kubrick n’a jamais tournés (Napoléon à la fin des années 60, Aryan Papers au début des années 90 et AI, qu’il a confié à Steven Spielberg), et ceux qu’on n’a jamais vus : Fear and Desire donc (sorti en 1953, et qui pourrait être réédité bientôt en DVD), et des courts-métrages documentaires comme Flying padre et Day of the fight en 1950 et 1951.
Les quelques photos de tournage de ces films-là excitent forcément l’imagination, tant son travail de cadrage hérité de son premier métier (il a vendu des reportages photographiques pour Look) était exceptionnel.
Le lien entre Kubrick photographe et Kubrick cinéaste est partout évident. Il culmine avec l’exposition de toutes les sortes d’objectifs qu’il utilisait pour ses caméras, et dont bon nombre était à l’origine des objectifs d’appareils photo. Le soin extrême qu’il apportait à l’adaptation de ces objets de haute précision est à l’image de son perfectionnisme.
Le plan de tournage de Napoléon, affiché sur du papier quadrillé dont chaque ligne correspond à 72 secondes de film, le meuble à tiroirs contenant des milliers de fiches biographiques ou historique, l’armoire vitrée remplie d’ouvrages sur l’empereur corse font de Napoléon non pas le plus grand film jamais tourné (« the greatest movie never made »), mais à coup sûr le film jamais réalisé le mieux préparé.
Même chose avec les carnets de scénarios ou le roman de Stephen King, Shining, annotés de la main de Kubrick. Mais là, la frustration est immense, car ces documents sont dans une vitrine et il est impossible de tourner les pages. Sans doute de quoi faire un livre passionnant. OK, mais alors en français, pas comme le catalogue de l’exposition que la Cinémathèque n’a pas jugé utile de traduire de l’anglais...