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Gardanne se prend un coup de lune

Du lever du soleil jusqu’à la nuit noire, la ville a vécu le 16 avril une étonnante journée lunaire. Théâtre de rue, fanfare ambulante, jouets magiques, concert décalé, apéritif itinérant et création visuelle : c’était l’Année des 13 Lunes.

Depuis quelques minutes, le soleil a jailli au-dessus du Cativel et déjà ils sont là. Sur le parvis de la gare routière, les lève-tôt qui partent travailler à Marseille ou à Aix croisent un drôle de petit bonhomme en blouse grise, qui tient par une chaîne une sphère plus grosse que lui : la lune. « Elle s’est décrochée, explique-t-il aux passants. C’est bien embêtant. » A quelques pas de là, une femme arrive, une valisette à la main. Tout semble normal, sauf qu’elle s’essuie les pieds tous les dix mètres, en jetant autour d’elle des regards inquisiteurs.

C’est ça, l’effet 13 lunes. Après sept villes du département, Gardanne est atteinte à son tour par ce mal étrange qui transforme la rue en spectacle, et les passants en acteurs, parfois involontaire. Comme le dit une femme venue de Simiane, et qui suit les 13 Lunes dans le département : « c’est aussi drôle de voir la tête des gens dans la rue que les numéros des comédiens. » Il y a celui qui déplie inlassablement sur le trottoir son échelle des valeurs, l’homme qui ramasse des centaines de clés avec une pelle et une brouette, celui qui dort debout, la tête calée par un énorme oreiller, cette femme étrange et belle qui parfume au déodorant les haies d’arbustes devant l’église... Pour le coup, les forains du marché du mercredi en perdent leur bagout habituel et se font voler la vedette.

L’après-midi commence par une grosse surprise. Sur le boulodrome Saint-Roch, une queue s’est formée devant l’entrée latérale de la Maison du Peuple, par laquelle on accède à l’univers poético-ludique de Jouet Star. Le cocktail temps printanier + réputation des 13 Lunes + vacances scolaires se transforme en énigme : combien de temps faut-il attendre quand 15 personnes peuvent découvrir dans le spectacle toutes les dix minutes ? Réponse : deux heures et demie ! Une fois entré dans ce monde dédié à la moto sous toutes ses formes, on chemine d’une salle de projection en couloirs avec vitrines éclairées et animations mécaniques, jusque sur une piste ronde sur laquelle tourne un vrai side-car, pleins gaz, le public étant plaqué aux parois par des ceintures de sécurité, avant d’aboutir dans l’atelier d’un mécano fou et couvert de sciure, dont la passion est de créer des moteurs en bois...

Pendant ce temps, la foule se masse sur le square Allende. Pierre Sauvageot et ses trois chefs d’orchestre en queue de pie distribuent au public consignes et matériels : le concert va commencer et il y a autant de musiciens que de spectateurs, puisque ce sont justement eux qui vont se produire. Grelots, sac plastique, bouteille, papier kraft, sifflet ou casserole, tout est bon. Et le plus étonnant, c’est que ça marche : le son monte, enfle, vibre, ondule et se propage en une symphonie à la fois éphémère et inoubliable.

Le temps d’un apéritif lunaire, et vient le moment de conclure par le clou de la soirée : alors qu’une énorme lune rousse monte à l’Est, les cinq artistes de la compagnie Amoros et Augustin montent sur scène à l’esplanade Péri devant plusieurs centaines de curieux. Pendant une heure, l’immense écran blanc va être éclaboussé de peinture rouge et jaune (dans une recréation des œuvres rupestres de Lascaux), découpé à mi-hauteur, reblanchi au rouleau et finalement lacéré. Le public y verra son image projetée et colorisée, il découvrira aussi tous les artifices de la mise en scène avec une stupéfiante reconstitution de la scène de la douche de Psychose, filmée en trois lieux différents. Il reconnaîtra la peinture des sables des rites guérisseurs navajos, avant que le spectacle ne s’achève sur ces quatre mots : « Ici, le regard crée. » On ne saurait mieux dire.