Le chant des baleines, l’âme de la contrebasse

énergies - vingt-cinq mars deux mille quatre

Le plus gros instrument transportable et le plus gros animal que la Terre ait porté se rencontrent par la magie de Bernard Abeille. Nous l’avons suivi des écoles primaires à la scène du 3 Casino.

L’une est âgée de cent vingt-quatre ans et les bois qui la composent sont eux-mêmes centenaires. L’autre peuple les océans depuis soixante-cinq millions d’années et a tant de choses à nous apprendre. D’un côté la majestueuse contrebasse avec sa table d’harmonie en sapin, ses éclisses et son dos en érable, ses touches en ébène et son cordier en poirier. De l’autre, la baleine avec ses dimensions gigantesques, ses phalanges et ses ongles cachés dans ses nageoires, ses deux ans de gestation et sa nageoire caudale horizontale comme les palmes d’un plongeur. Au milieu, Bernard Abeille, musicien et pédagogue, capable de captiver pendant une heure trente une cinquantaine d’enfants de l’école Bayet au point de leur faire sauter la récréation sans la moindre protestation. « J’aimerais que vous deveniez des incollables de la baleine. Peut-être un jour vous pourrez plonger avec elles comme je l’ai fait en Méditerranée, à trente kilomètres de Marseille. Vous savez, la baleine est plus proche de l’homme que des poissons. » Pour bien se faire comprendre, il fait alors circuler dans la classe des petites reproductions en plastique d’orques, de dauphins, de baleines bleues ou de cachalots, raconte la différence entre les baleines qui n’ont pas de dents (les mysticètes) et celles qui en ont (les odontocètes), comment elles se nourrissent, pourquoi elles peuvent entendre le chant d’un congénère à trois mille kilomètres de distance, rappelle qu’elles n’attaquent jamais l’homme, même pas le terrible orque épaulard à la puissance phénoménale.

On resterait des heures à l’écouter parler de ces mammifères exceptionnels mais voilà que, sans transition ou presque, Bernard Abeille nous présente la contrebasse. « C’est en fait un arbre. Un arbre, c’est plus facile à observer qu’une baleine ! Faites l’expérience : asseyez-vous devant un arbre pendant trente minutes et regardez ce qui se passe. Voyez toute la vie qu’il porte dans ses branches. » La contrebasse de Bernard Abeille a presque l’âge de l’école laïque et obligatoire. Elle a été fabriquée près de Nancy en 1880. « Elle est faite d’une planche de sapin qui avait 150 ans et qu’on avait mis à sécher pendant 30 ans. » Avec elle, Bernard est capable d’imiter quasiment tous les animaux de la création : la vache, l’âne, le coq, le singe, l’éléphant... et même la panthère rose, du moins la musique du film. « Vous aussi, à la maison, vous pouvez imiter le chant de la baleine : prenez un ballon, gonflez-le, et laissez échapper l’air en pinçant l’extrémité comme ça... » Puis, devant les élèves ravis, il montre comment, en passant le doigt sur les dents d’un peigne, on reproduit les claquements des dauphins. « S’intéresser aux baleines, nous confie-t-il en rangeant son matériel, c’est toucher à tous les domaines : géographie, histoire, biologie, physique, politique... En fin de compte, c’est s’intéresser à soi-même, aux raisons pour lesquelles nous sommes ici. Et peut-être agir pendant qu’il est encore temps. » Message reçu.

P.-S.

Un voyage parmi les géants

Sur la scène du 3 Casino, devant cent cinquante élèves de six classes (Fontvenelle, Bayet, Péri et le Pesquier), Bernard Abeille fait ses dernières recommandations : « je parle aux futures grands-mères et aux futurs grands-pères que vous êtes : ce serait bien que les baleines soient encore là pour vos petits enfants. N’oubliez pas qu’on ne peut aimer que ce qu’on connaît. » Et juste avant de commencer à jouer, il donne cette définition magnifique : « vous allez m’envoyer une émotion qui ne se voit pas mais que je sentirai, et cette émotion, je vais vous la renvoyer. Cet échange entre nous, c’est ce qu’on appelle le spectacle. » Et là commence sur l’écran un voyage de trente minutes aux confins de la voie lactée, où s’enchevêtrent des images d’étoiles, d’ammonites, de la Terre, du Sioux Big Foot ou d’un œil de baleine. Au ballet des cétacés qui dessinent des mouvements d’une grâce extraordinaire s’enchevêtrent les sons que le musicien tire de sa contrebasse, de la plainte suraigüe à l’harmonie la plus douce. Qui n’aurait pas envie de sauver les baleines - et les contrebasses - après un moment pareil ?