L’une est âgée de cent vingt-quatre ans et les bois qui la composent sont eux-mêmes centenaires. L’autre peuple les océans depuis soixante-cinq millions d’années et a tant de choses à nous apprendre. D’un côté la majestueuse contrebasse avec sa table d’harmonie en sapin, ses éclisses et son dos en érable, ses touches en ébène et son cordier en poirier. De l’autre, la baleine avec ses dimensions gigantesques, ses phalanges et ses ongles cachés dans ses nageoires, ses deux ans de gestation et sa nageoire caudale horizontale comme les palmes d’un plongeur. Au milieu, Bernard Abeille, musicien et pédagogue, capable de captiver pendant une heure trente une cinquantaine d’enfants de l’école Bayet au point de leur faire sauter la récréation sans la moindre protestation. « J’aimerais que vous deveniez des incollables de la baleine. Peut-être un jour vous pourrez plonger avec elles comme je l’ai fait en Méditerranée, à trente kilomètres de Marseille. Vous savez, la baleine est plus proche de l’homme que des poissons. » Pour bien se faire comprendre, il fait alors circuler dans la classe des petites reproductions en plastique d’orques, de dauphins, de baleines bleues ou de cachalots, raconte la différence entre les baleines qui n’ont pas de dents (les mysticètes) et celles qui en ont (les odontocètes), comment elles se nourrissent, pourquoi elles peuvent entendre le chant d’un congénère à trois mille kilomètres de distance, rappelle qu’elles n’attaquent jamais l’homme, même pas le terrible orque épaulard à la puissance phénoménale.
On resterait des heures à l’écouter parler de ces mammifères exceptionnels mais voilà que, sans transition ou presque, Bernard Abeille nous présente la contrebasse. « C’est en fait un arbre. Un arbre, c’est plus facile à observer qu’une baleine ! Faites l’expérience : asseyez-vous devant un arbre pendant trente minutes et regardez ce qui se passe. Voyez toute la vie qu’il porte dans ses branches. » La contrebasse de Bernard Abeille a presque l’âge de l’école laïque et obligatoire. Elle a été fabriquée près de Nancy en 1880. « Elle est faite d’une planche de sapin qui avait 150 ans et qu’on avait mis à sécher pendant 30 ans. » Avec elle, Bernard est capable d’imiter quasiment tous les animaux de la création : la vache, l’âne, le coq, le singe, l’éléphant... et même la panthère rose, du moins la musique du film. « Vous aussi, à la maison, vous pouvez imiter le chant de la baleine : prenez un ballon, gonflez-le, et laissez échapper l’air en pinçant l’extrémité comme ça... » Puis, devant les élèves ravis, il montre comment, en passant le doigt sur les dents d’un peigne, on reproduit les claquements des dauphins. « S’intéresser aux baleines, nous confie-t-il en rangeant son matériel, c’est toucher à tous les domaines : géographie, histoire, biologie, physique, politique... En fin de compte, c’est s’intéresser à soi-même, aux raisons pour lesquelles nous sommes ici. Et peut-être agir pendant qu’il est encore temps. » Message reçu.