"Pour pouvoir faire construire,
il fallait que l’homme
y entre”. Alors, l’homme,
c’est à dire Louis, est entré à l’usine
d’alumine où sa femme, Marie-Thérèse,
travaillait depuis dix ans. Ainsi,
ils ont pu acquérir un pavillon dans
le tout nouveau lotissement La Crau,
rue Paul Héroult, à Gardanne. Après
une carrière cahotique, Louis finit
par s’installer à Gardanne et intégrer
Pechiney, en 1958.
“J’ai commencé
par faire les trois huit, mais dès que
j’ai pu quitter les postes, j’ai fait
l’entretien, après trois ans de formation
aux Arts et Métiers à Aix. Je
suis donc passé agent de jour à
l’entretien mécanique.”
C’est l’époque où l’usine passe de
l’attaque discontinue à l’attaque
continue et où le matériel vétuste est
rénové ou remplacé. La production
augmente, la qualité de l’alumine
produite aussi, mais il reste des tâches
ingrates et dangereuses à faire, comme
de nettoyer les autoclaves à l’intérieur
desquels une croûte épaisse de
mélange d’alumine et de soude se
forme.
La soude, c’était l’ennemi,
l’origine des accidents les plus
graves, peu nombreux mais toujours
effrayants. “Certains ont perdu un
oeil, d’autres sont devenus aveugles,
se souvient Louis. Il y a même eu des
chutes dans des cuves remplies de
soude caustique. J’en connais qui en
ont réchappé, mais ce n’était pas
beau à voir.” Au fil des années, les
manipulations directes de soude se
sont réduites, et le nettoyage des
tuyauteries se faisait de l’extérieur.
“On tapait sur les tuyaux à la masse
pour décrocher les croûtes intérieures.
On appelait ça l’orchestre.”
Sa femme, elle, a été embauchée en
1946, en pleine période de réduction
d’effectifs. “Il faut dire que pendant
la guerre, l’usine a abrité beaucoup
de monde. Les Allemands avaient
imposé les 48 heures hebdomadaires,
mais le personnel était en surnombre.
C’est grâce au chef du personnel de
l’époque que de nombreux jeunes ne
sont pas partis travailler en Allemagne.”
Elle se souvient aussi de
l’époque où des manutentionnaires
chargeaient des sacs d’alumine sur
le dos. “Ils n’avaient pas de qualification,
des petits salaires et des
grosses primes. A la retraite, ils
n’avaient presque rien.”
Et puis arrive 1968. “Il n’y avait plus
eu de grève depuis 1936 et le Front
Populaire. A l’époque, la production
s’était arrêtée et les machines
en avaient pris un coup. Depuis,
c’était l’argument-type pour éviter
les grèves.” Première alerte en 1965,
avec un arrêt de travail de 24 heures.
Le tabou est brisé. Quelques temps
plus tard, une panne électrique
bloque l’usine pendant 48 heures,
sans conséquence pour les machines.
C’est la preuve qu’une grève longue
est possible sans dommage pour
l’usine.
Le 9 mai 1968, les locaux
sont occupés, la production arrêtée.
Le mouvement durera trois semaines.
“Quand il y avait un problème, on
était solidaire, se souvient Marie-
Thérèse. Certains se sentaient pousser
des ailes.”
En 1985, ils font partie de la troisième
vague de départ en pré-retraite.
Ils ont 55 ans chacun, et totalisent
à eux deux 66 ans d’ancienneté chez
Pechiney. Ils peuvent désormais se
consacrer à leur pavillon, lotissement
La Crau, rue Paul Héroult.
Louis et Marie-Thérèse Rachet, 66 ans de Pechiney à eux deux
extrait du dossier Pechiney, cent ans après
L’usine, ils l’ont vécue de l’intérieur, de la Libération au milieu des années 80. Ils ont partagé les difficultés, les luttes, les jours heureux, les bonnes et les mauvaises surprises. Ils n’ont rien oublié de ce qui fut leur vie pendant quarante années.