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Musica nuda dans un galet

Une madone + un ragazzo + une contrebasse = un concert dépouillé au milieu de la Crau. Retour pour Envrak sur le concert de Musica Nuda le 26 mars dernier.

Lui incarne la sobriété et le dépouillement, tignasse frisée, lunettes d’intello, imperturbable. Elle, comme à son habitude, est toute en fantaisie, insaisissable, toujours sur le fil, mutine, en un mot irrésistible. Depuis leur rencontre en 2003, ils composent le duo le plus improbable, mais sans doute le plus complémentaire et assurément le plus étonnant qui soit.

On dit duo, mais ce n’est pas tout à fait juste : outre Ferruccio Spinetti et Petra Magoni, il y a un troisième larron, sous la forme d’une contrebasse. A eux trois, sur la belle scène du Galet à Saint-Martin de Crau, au cœur de la plaine agricole provençale (dans le cadre du festival Voix de femmes), ils ne tiennent guère plus de place qu’une cabine téléphonique. Mais les sons qu’ils émettent n’ont rien à voir avec la musique de France Telecom.

Difficile de définir ce qui fait l’alchimie mystérieuse de Musica Nuda. Une voix exceptionnelle ? Un contrebassiste virtuose ? Des reprises du répertoire pop, rock ou jazz destructurées ? Sans doute un peu de tout ça, mais pas que. D’ailleurs, que le duo se sépare pour quelques minutes ou qu’il invite d’autres musiciens (comme dans ses albums Musica Nuda 2 et 55/21), et quelque chose s’évapore, disparaît ou se banalise. L’élément manquant, il se trouve peut-être en fait dans leur étonnante complicité, celle qui leur autorise toutes les audaces. Et dans leur très grand talent, qui donne une impression trompeuse de facilité renforcée par le plaisir évident qu’ils prennent sur scène.
 

De sa contrebasse, Ferruccio sort tous les sons qu’il veut, et accompagne sans aucun souci Petra sur Roxanne de Police, Non andare via (Ne me quitte pas en italien), Fever, I will survive ou sur des chansons napolitaines. Maintenant que leur duo sur scène est bien rôdé, il sort un peu de sa réserve, parle, se présente comme un « contrebassiste comptable » et évoque même (dans Le duo corde vocali) ces journaux intimes que les femmes « cachent dans la table de la nuit ». La scène lui donne d’ailleurs une place plus importante que dans les albums, où son travail sert essentiellement d’écrin à la voix de Petra.

Cette voix, comment dire ? Elle est lame acérée ou velours, elle caresse, elle frappe, elle frôle, elle gratte, elle vibre, elle glisse, jamais là où on l’attend, capable d’accélérations fulgurantes terminées par un chuchotement lascif. Parfois moqueuse, quand elle reprend Gloria Gaynor, parfois incandescente sur Fever ou sur Non andare via, elle pourrait aussi en remontrer aux slammeurs dans un Bocca di Rosa exécuté au sprint et en apnée.
 

Son répertoire est immense : après avoir étudié le chant à l’institut pontifical de musique sacrée à Milan (où elle ne devait pas s’amuser tous les jours), elle bifurque de la musique ancienne au jazz en passant par la pop (dans le groupe Senza Freni, « sans freins », ce qui lui va comme un gant), le rap et la dance. Toutes ces influences se superposent sans s’annuler, bien au contraire : il faut voir avec quelle facilité elle saute d’un style à l’autre au cours d’une même chanson.

Le créneau choisi par Musica Nuda, travailler sur des reprises de standards pop, n’a pourtant rien d’original en soi. Jouer Come together, Sacrifice, Eleanor Rigby ou Blackbird, qui ne l’a pas fait ? Pourtant, mixés à la sauce italienne, ces hits se retrouvent découpés, hachés, éparpillés, recollés, dépouillés jusqu’à l’os, et en ressortent épurés, méconnaissables et pourtant familiers. Le Imagine de John Lennon est ainsi une merveille de finesse, d’émotion contenue, sobre comme un jardin zen japonais. A tel point que parfois, réécouter ensuite les versions originales avec leurs arrangements d’époque peut s’avérer cruel.

Après une tournée en Espagne et en Allemagne en mars, Petra et Ferruccio sont en France en avril, le 7 à Paris (Bataclan), le 22 au Mans, le 23 à Beaumont-Pied-de-Bœuf, le 24 à Dinard et le 28 à Château-Gontier.