5 mars 1999 : les 15 d’Intramines sortent après 17 jours au fond

, par Bruno

Il y a un peu plus de onze ans sur le carreau du Puits Morandat à Gardanne, les salariés d’un sous-traitant de la mine avaient fait grève au fond pour défendre leurs emplois. Leur sortie au terme du conflit ressemblait un peu à celle des mineurs chiliens.

La sortie des mineurs chiliens dans la nuit noire du désert d’Atacama, après 68 jours passés enfermés à 700 mètres de la surface n’était pas seulement touchante : elle a éveillé chez moi un souvenir vieux de plus de onze ans.

Le 5 mars 1999, la cage du puits Morandat à Gardanne (le puits Y pour les mineurs) remontait à la surface quinze hommes épuisés mais heureux, les yeux protégés par des lunettes noires. Et pour cause, ils n’avaient plus vu la lumière du jour depuis plus de deux semaines. Dix-sept jours et seize nuits passés à neuf cent mètres de fond, à la recette du puits.

Eux n’étaient pas coincés par un éboulement, et ils savaient qu’ils pouvaient remonter en une poignée de minutes dès qu’ils le décideraient. S’ils avaient passé tout ce temps au fond, c’était parce qu’ils étaient en grève, pour défendre leur emploi. Salariés d’Intramines, une société sous-traitante des Houillères, ils avaient au final gagné un peu de répit, soit 18 mois jusqu’en septembre 2000. Quatre ans plus tard, en février 2003, la mine de Gardanne cessait son activité et l’entrée du puits Y, le plus moderne d’Europe, était maçonnée tandis que l’eau remplissait les galeries.

Logiquement, Intramines a dû disparaître corps et biens avec l’arrêt de l’activité minière en France. Je ne sais pas ce que sont devenus Serge Scuri et les autres hommes que j’avais rencontrés pendant leur grève, au fond de la mine. Mais aujourd’hui, en voyant les images des mineurs chiliens, c’est à eux que je pense.

L’article est paru dans Energies 113 du 18 mars 1999 qui est feuilletable en ligne sur le site de la ville de Gardanne où vous pouvez également télécharger le fichier pdf.

Voici le contenu de l’article :

17 jours au fond et l’emploi au bout

QUAND LA CAGE EST REMONTÉE CE. VENDREDI-LÀ, UNE SALVE D’APPLAUDISSEMENTS A FUSÉ DE LA CENTAINE DE MINEURS, DE FEMMES ET D’ENFANTS MASSÉS SUR LE CARREAU DU PUITS MORANDAT. Ce n’était pas une remontée comme les autres : la cage était vide, mais sur la nacelle en contrebas, il y avait un engin du fond et dans l’engin, une quinzaine d’hommes, les yeux abrités par des lunettes noires qui cachaient (mal) les larmes de la fatigue et de l’émotion. Embrassades devant les caméras, douche au champagne, accolades, on dirait des otages qui viennent d’être libérés. Dix-sept jours qu’ils n’avaient pas vu le soleil. Seize nuits à passer à près de mile mètres de fond reliés à l’extérieur par des téléphones.

Dix-sept jours, c’est le temps qu’il aura fallu pour que les directions des HBCM et d’Intramines (voir ci-dessous), sous la pression de la CGT et suite à la rencontre entre Roger Meï et Dominique Strauss-Kahn, signent un accord garantissant à l’entreprise sous-traitante un maintien de l’activité au-delà des trois prochains mois.

Car c’était bien sûr l’emploi qui était en jeu dans ce conflit en sous-sol, l’emploi sous- traitant, celui dont la survie est directement liée à celui de la mine. Et comme en ce début d’année, tout indiquait que le contrat de six mois passé entre les Houilères et Intramines ne serait pas renouvelé, Serge Scuri et les autres salariés ont pris une décision radicale : on reste en bas tant qu’on ne nous donne pas de garantie.

« En 84, on avait eu le même type de conflit. Ça avait duré 10 jours, on a gagné 15 ans de boulot. » Cette année, la grève aura été encore plus longue et les perspectives d’emploi restent limitées. Mais ce 5 mars, les sous-traitants ont rappelé à tous qu’ils existent et qu’il fallait compter sur eux.

L’accord qui met fin à la grève

Dans le protocole d’accord signé le 5 mars, les HBCM s’engagent à renouveler les contrats de travaux à Intramines pour 18 mois à compter du 1 er mars, soit jusqu’en septembre 2000 (au lieu de juillet 1999). Au-delà, les HBCM feront les efforts nécessaires pour prolonger l’activité d’Intramines et de ses salariés, en faisant appel à leurs compétences pour l’ensemble des travaux miniers (en non pas seulement pour le forage de puits comme jusqu’à présent. Le mot « ensemble » a fait l’objet d’une négociation acharnée). Pour vérifier l’application de cet accord, un comité de suivi sera mis en place avec des représentants du personnel d’Intramines, du syndicat CGT des mineurs, des directions d’Intramines et des HBCM. L’évolution de la carrière professionnelle des salariés d’Intramines sera également étudiée. Enfin, les astreintes (1000 F par jour et par gréviste) sont supprimées, ainsi que toute sanction disciplinaire ou poursuite judiciaire.

PASSER 392 HEURES À 900 MÈTRES DE FOND demande une résistance physique et psychologique hors du commun. Pendant ces 17 jours et 16 nuits, les grévistes d’Intramines ont été ravitailés régulièrement par des mineurs qui leur amenait des repas offerts par la municipalité. Ils étaient aussi régulièrement en contact téléphonique avec la surface, parlant de temps en temps avec leur famille. Enfin, ils ont été suivis par un médecin du centre de santé.

AU BAS DE L’ASCENSEUR, À LA RECETTE PRINCIPALE, LES GRÉVISTES s’étaient aménagés un dortoir avec des lits de camp, une douche de fortune et un petit réfectoire. Pour supporter l’attente, ils avaient également délimité un petit terrain de boules, et se dégourdissaient les jambes en tapant dans un ballon. Ils ont reçu des visites : celle de Roger Meï, mais aussi de nombreux journalistes. Les médias ont en effet largement couvert la grève, surtout à partir du sixième jour : presse écrite locale et nationale, radios, télévisions. A travers la grève, c’est l’univers des mineurs qu’ils ont enfin découvert.

LA SOCIÉTÉ INTRAMINES A ÉTÉ REPRISE IL Y A HUIT MOIS PAR BONIFACE, une PME de l’Hérault, plus intéressée par le matériel de forage que par les salariés et leur savoir-faire. Si la direction d’Intramines a renvoyé la négociation sur celle des Houillères, c’est parce que c’est cette dernière qui détenait la solution.

LE SYNDICAT FORCE OUVRIÈRE DES MINEURS DE PROVENCE avait fait le communiqué suivant le 18 février dernier : « Le savoir-faire incontestablement acquis par Intramines doit être exploité comme l’a toujours revendiqué FO dans la mesure où les perspectives de l’industrie charbonnière sont en phase ascendante dans un certain nombre de pays [...] La solution du conflit est donc à rechercher dans le cadre dun redéploiement des aides à l’industrialisation [...] pour qu’lntramines puisse développer ses compétences sans être intrinsèquement liée à l’évolution de l’industrie charbonnière nationale. »