Taxe professionnelle : et à la fin, qui va payer ?

Energies n°324 - 30 octobre 2009

Dépouillés de leurs pouvoirs par la réforme des collectivités locales, privés de ressources par la suppression de la taxe professionnelle, les élus sont en colère. Les habitants aussi, puisqu’au final ce sont eux qui risquent de payer l’addition.

La décentralisation ? « Comme la démocratie, c’est devenu un bien commun ». Les biens communs ont la vie dure en ce moment. La déclaration de Nicolas Sarkozy le 20 octobre à Saint-Dizier n’a rassuré personne. Le jour-même, plusieurs communes en France, dont Gardanne, organisaient des réunions publiques d’information sur le thème « Menaces sur les collectivités locales ». Près de deux cents personnes se sont déplacées à la Halle à l’invitation de Roger Meï et du conseil municipal. « C’est un moment difficile, un moment grave, avec des réformes qui portent atteinte à la décentralisation commencée en 1981 », constate Roger Meï. « On va avoir des supermétropoles dans lesquelles vous, citoyens, usagers, n’existerez plus. Et les maires ne seront là que pour déposer des gerbes le 11 novembre et célébrer les mariages. »

Pour clarifier les enjeux des réformes en cours, la Ville a demandé une étude à Pascal Heymes, de la société Stratorial Finances*. Celui-ci a tout d’abord fait un état des lieux des finances de la Ville : taux de taxe professionnelle élevé compensé par des abattements de la taxe d’habitation et par l’absence de taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Et si le revenu moyen des Gardannais est inférieur à la moyenne nationale, l’endettement par habitant est également plus bas (714 euros contre 1095 euros pour des villes de même taille), alors que la Ville investit plus que la moyenne.

Dans ce contexte, qu’est-ce que Gardanne aurait à gagner en intégrant une intercommunalité ? En supposant que le Préfet, comme il en aura le pouvoir d’ici 2013, intègrera de force notre commune dans la communauté d’agglomération du pays d’Aix (CAPA), il y aura essentiellement des taxes supplémentaires pour les ménages, les commerçants et les entreprises : taxe d’enlèvement des ordures ménagères et taxe transport. Mais surtout, la Ville perdra des compétences qui seront transférées à la communauté d’agglomération. La situation serait encore pire si le projet de métropole du « grand Marseille » avalant les pays d’Aix, d’Aubagne, d’Istres et de Martigues voit le jour.

La conséquence : une augmentation des impôts payés par les ménages

L’autre question du jour est celle de la suppression de la taxe professionnelle. Si celle-ci disparaît au 1er janvier 2010, c’est-à-dire dans deux mois, le manque à gagner sera de 25 milliards d’euros (11 millions à Gardanne). A la place, une cotisation économique territoriale (CET) versée aux communes, départements et régions rapportera 17 milliards. La différence, soit 8 milliards, représente un allégement d’impôts pour les entreprises. Ou, si on préfère, un cadeau fiscal.

Face à la très forte désapprobation des élus locaux (y compris de la majorité UMP), le gouvernement a promis de compenser intégralement le manque à gagner pour les villes. Outre la confiance qu’on peut accorder à ce genre de promesses, cette compensation sera calculée sur ce que rapporte aujourd’hui la taxe professionnelle, et ne bougera plus par la suite. Or, démontre Pascal Heymes, entre 2004 et 2008, à Gardanne, la taxe professionnelle seule a rapporté plus d’un million d’euros supplémentaires, grâce à l’implantation de nouvelles entreprises. Autrement dit, pour maintenir les investissements et les services publics communaux, la Ville n’aurait pas d’autre solution que d’augmenter les impôts payés... par les ménages. C’est exactement le but recherché par le gouvernement.

Mais dans ce cas, quel serait l’intérêt pour une ville de favoriser l’implantation d’entreprises nouvelles, compte-tenu des coûts engendrés par l’activité économique ? Comme le remarque Mustapha El Miri, adjoint au maire chargé de la culture, « ces cadeaux fiscaux, trois générations vont les payer. Avec la suppression de la taxe professionnelle, on va favoriser les entreprises qui exportent au détriment des PME qui auront moins de débouchés avec des villes qui n’investissent plus. »

Pour le Conseil général, Claude Jorda pointe quatre menaces : « cette réforme marque la fin de la démocratie de proximité, elle attaque les services publics locaux comme ont été attaqués les services publics nationaux (Poste, GDF, France Télécom...), elle met les territoires en concurrence et elle prive les élus locaux de leur autonomie de décision. Sous couvert de faire des économies, les grands perdants seront les villes et les départements. » Par exemple, « ce sera la fin des politiques volontaristes des collectivités locales : dans le département, leurs aides représentent 80% du financement de la culture, contre 20% à l’Etat. Dans les collèges, le Conseil général offre un ordinateur portable aux élèves de quatrième pour lutter contre la fracture numérique : ce n’est pas une compétence obligatoire. L’aide aux travaux dans les communes, comme ça a été le cas ici, dans la Halle, sera aussi remise en cause. »

« Ce n’est pas qu’une questions d’élus, ça concerne tout le monde. »

Elu aux associations, Guy Porcedo affirme « qu’avec cette réforme, on vous éloigne des centres de décision. A qui allez-vous demander une aide matérielle, une subvention, un prêt de salle ? Ce dont on a besoin, c’est de proximité, pas d’éloignement. »

Dans la salle, les gens se disent inquiets, mais déterminés à agir : « on foule aux pieds le suffrage universel. Je suis retraité, j’ai du temps, si vous vous bagarrez je serai avec vous. » « A Septèmes, le Préfet a ordonné au maire d’accueillir les ordures ménagères de la Ville de Nice, c’est une honte. » « A part subir, que peut-on faire à notre niveau ? » « les associations, c’est le bien commun de notre ville, elles sont aussi porteuses d’emploi pour les jeunes. Il faut intervenir en tant que citoyens. » Yveline Primo, première adjointe, souligne « qu’il faut en parler autour de soi, parler de cette réforme et de ses conséquences. Ce n’est pas qu’une questions d’élus, ça concerne tout le monde. » Roger Meï conclut en annonçant qu’une motion sera votée au conseil municipal du 22 octobre et qu’il se rendra le 16 novembre au Congrès des Maires de France. « Nous seront nombreux à donner notre sentiment au Président de la République. Et il y aura des actions à mener ensemble, il va falloir se battre. »