Sur la place d’un village, une petite foule s’assemble, des jeunes, des vieux, des enfants. Quelqu’un grimpe sur une chaise et dirige tout ce monde façon chorale. A la fin, on s’étreint, on s’applaudit. C’est la nouvelle campagne publicitaire de la Poste, diffusée à la télévision et sur Internet en mai et juin.
Sous le slogan la confiance donne de l’avance, la Poste joue ainsi à fond de sa popularité, nourrie de deux siècles de service public, au moment même où le gouvernement va changer son statut pour en faire une société anonyme.
Au 1er janvier 2011, la distribution du courrier urgent (les lettres de moins de 20 grammes) devra être ouverte à la concurrence. Ce n’est pas pour rien que Vincent Relave, directeur de communication au groupe La Poste, affirme : « la marque La Poste se veut une marque de services aux publics, forte de ses valeurs, de ses engagements et de la confiance des Français. » Vous avez bien lu : le plus ancien service public de France ravalé au rang d’un produit de consommation courante comme un yaourt ou une mousse à raser.
Le plus ancien service public de France ravalé au rang d’un produit de consommation courante
Ce virage n’est pas que sémantique, il suffit de passer la porte (coulissante) du nouveau bureau de Gardanne pour le constater : dès l’entrée, à droite, la boutique vous attend. Vous pouvez y acheter vos timbres (ce qui est pratique), des enveloppes et des paquets prêts à poster, des cartes Sim pour téléphones portables, mais aussi des tirelires en forme de boîte aux lettres, des répliques de véhicules de la Poste, des sacs en toile, des DVD, des sous-mains représentant l’alphabet et des colis cadeaux de gastronomie provençale (à 79€ pièce). Et alors que les guichets ne sont ouverts qu’en fonction des périodes d’affluence, il y a toujours quelqu’un pour tenir la boutique (qui fonctionne en self-service). On voit par là où sont les priorités.
« Dans tous nos bureaux, on affiche une unité de marque, on met l’enseigne en avant, on montre sa patte, sa griffe, celle de la Poste, » confirme Emmanuelle Frau, directrice d’établissement. Elle présente fièrement le nouvel accueil qui a nécessité plusieurs mois de travaux fin 2008.
« Mon objectif prioritaire est l’amélioration de l’accueil. Il faut inciter le client à venir chez nous. Depuis janvier, nous avons une personne en moins, mais la réorganisation de l’accueil fait que les clients sont satisfaits : plus de clarté, plus de silence. Avant, nous avions le même nombre d’agents présents quel que soit l’horaire. Désormais, on module, on met plus de monde aux heures d’affluence, et moins le reste du temps. Mais le bureau est ouvert en continu de 9h à 18h. Les conditions de travail sont bien meilleures pour le personnel, ce bâtiment n’avait pas été rénové depuis 40 ans. »
Outre l’aspect commercial clairement revendiqué, l’autre leitmotiv de la Poste, c’est l’adaptation au client. Depuis le 1er juin, un responsable client a pour mission de vous prendre en charge et de vous guider une fois la porte franchie. « La clientèle de Gardanne est plutôt sociale, on doit s’y adapter dans une démarche gagnant-gagnant. Mais depuis un an, il y a une bonne centaine de clients en moins par jour. Ce n’est pas propre à la Poste, c’est pareil dans les supermarchés, avec qui nous sommes en partenariat pour vendre les prêts-à-poster » [enveloppes prétimbrées, NdlR].
Pour les usagers, le nombre de bureaux de poste devrait passer après la privatisation de 13000 à 3500
Ce client, justement, se demande parfois pourquoi les colis n’arrivent pas jusque chez lui. C’est le cas de Serge Daillan et des habitants des Logis Notre-Dame : « Depuis treize ans que j’habite ici, il n’y a pas moyen. Le courrier, ça va, pas de problème, la factrice est très bien, mais les colis n’arrivent pas jusqu’ici. On a demandé des explications au bureau de poste de Gardanne, on n’a jamais eu de réponse. Même le maire a écrit à la direction à Marseille, sans résultat. » La communication a ses limites...
Le métier de facteur, Serge l’a pratiqué jusqu’en 1982, d’abord en région parisienne puis à Cabriès. « J’ai passé le concours en 1972. A cette époque, on passait du temps le matin à trier le courrier, alors que maintenant, quand le facteur arrive, le tri est quasiment fait. Du coup, les tournées sont plus longues, et les facteurs sont plus chargés. »
S’il regrette un peu la mentalité individualiste chez les facteurs (« Difficile de se faire aider les premiers jours, c’était un peu chacun pour soi. »), il garde un bon souvenir de ses 28 kilomètres quotidiens en vélo à Cabriès : « j’avais 240 clients, et je peux vous dire que j’en connaissais 200. » Il s’étonne aussi de voir des intérimaires remplacer les facteurs pour les tournées : « les facteurs sont des agents assermentés, en début de carrière on passait devant un juge, c’était sérieux. Distribuer du courrier, c’est une responsabilité. Mais on sous-traite des pans entiers de l’activité. Avec la privatisation, ça ne va pas s’arranger. »
Une inquiétude partagée par les syndicats, comme le précise Jean-Luc Botella, secrétaire départemental CGT La Poste : « Le changement de statut, c’est une avancée vers la privatisation. L’État restera actionnaire majoritaire ? Il disait la même chose pour GDF. Dès que des investisseurs privés entrent dans le capital d’une entreprise, les objectifs changent, il s’agit en priorité de dégager des bénéfices pour les actionnaires. »
Avec les conséquences habituelles : « le projet interne vise à supprimer un maximum d’emplois. Pour les usagers, le nombre de bureaux de poste devrait passer après la privatisation de 13 000 à 3 500. Dans les communes rurales, des bureaux seront fermés ou remplacés par des agences postales financées majoritairement par les communes avec des services réduits de moitié. En clair, ce sont les citoyens qui vont payer pour avoir un service minimum au rabais. »
Et la distribution du courrier ? En théorie, selon la loi postale de 2005, la Poste s’engage à distribuer le courrier six jours sur sept. « Mais on risque d’arriver très vite à la situation du Portugal où le courrier est distribué trois jours par semaine. »
Et la Banque postale, qui a vu le public ouvrir en masse des livrets A et des comptes bancaires au plus fort de la crise ? « Ses activités bancaires s’éloignent de celles d’une banque accessible aux citoyens. Les tarifs ont aussi augmenté. Ce ne sont plus les besoins des usagers qui sont la priorité, mais leur capacité financière. Mais rien n’est inéluctable. Le vent de contestation est très grand. Une pétition a recueilli 400 000 signatures, il y a des débats publics partout, un collectif de défense des services publics regroupe 44 organisations. On résiste. D’ailleurs, le gouvernement a préféré repousser le projet de changement de statut à la Poste. »
Le temps de laisser passer les élections européennes, Bruxelles n’étant pas pour rien dans la casse des services publics.