A Gardanne, le lycée Fourcade est bloqué depuis le vendredi 24 mars. Des barrages filtrants sont mis en place à l’entrée, quelques élèves entrent. « Nous voulions organiser un vote jeudi 30 mars pour décider le blocus du lycée vendredi 31, mais le proviseur nous a refusé des urnes et les listings des élèves. On s’est débrouillé, et avec l’aide des professeurs, on a fait un vote devant l’entrée, » explique Damien. « On voulait créer aussi un Comité d’action lycéen, il nous a dit que c’était illégal. La directive de Robien pour nous déloger par la force, c’est n’importe quoi. Le blocus, c’est le seul moyen que nous avons de nous faire entendre. » Le matin même, Roger Mus a organisé une rencontre avec des représentants de lycéens, d’enseignants et de parents d’élèves. Avec 515 voix pour, 202 contre et 54 % de votants, les lycéens ont choisi le maintien du blocus.
Quelques heures plus tard, enseignants, lycéens et parents d’élèves se réunissent dans la salle polyvalente de l’école primaire Brassens. Les enseignants viennent de maternelle, primaire, collège et lycée, de Gardanne mais aussi de Trets et de Simiane. Les lycéens de Fourcade sont présents, mais aussi deux de Valabre et un du lycée professionnel de l’Étoile. Tous témoignent de la mobilisation dans leurs établissements, et des difficultés qu’ils rencontrent. Ainsi, David explique qu’au LEP, « une soixantaine d’élèves était en grève le 28 mars [sur environ 200, ndlr], ainsi que quelques enseignants. Mais c’est difficile de mobiliser, les grévistes n’ont pas le droit d’entrer. » Pour le lycée Fourcade, Yann constate que « nous n’avons aucun moyen d’expression à l’intérieur du lycée, ni panneau d’affichage, ni distribution de tracts, ni salle pour faire une AG, rien. On doit aussi assurer la sécurité nous-mêmes. Heureusement que des professeurs nous aident. Le 28, on était 150 à la manifestation à Marseille. Vendredi, on proposera de porter des brassards et d’aller en cours afin de ne pas pénaliser ceux qui préparent des examens. »
Pour le lycée agricole de Valabre, Guillaume raconte : « on est dans le mouvement depuis le 7 février. Au début, on était une vingtaine à aller manifester, maintenant on est cent. On a ainsi pu faire un débat le 23 mars avec le député Richard Mallié, le maire Roger Meï, des parents d’élèves FCPE, des étudiants d’Aix et des représentants de la CGT. On a aussi fait une vidéo de 15 minutes sur les mouvements, une pièce de théâtre en simulant un entretien de licenciement entre un employeur et un salarié au CPE. On a aussi imaginé ce qui se passerait si la police entrait dans les lycées après une loi Sarkozy. »
Les gens ne se sentent plus représentés
Lundi 3 avril. Le lycée Fourcade organise à son tour un débat avec Richard Mallié et Roger Meï auquel participent la FCPE (parents d’élèves), la FSU (syndicat enseignant) et la CGT. Devant environ deux cents élèves assis par terre dans la cour, le député UMP tentera pendant une heure de convaincre ou tout au moins d’expliquer l’inexplicable : une loi que le président promulgue et demande aussitôt de ne pas appliquer.
« Le CPE est proposé à des jeunes sans qualification, laissés pour compte. Ce n’est pas pour vous. Je reçois des demandeurs d’emploi, et j’ai vu de ces jeunes qui sont d’accord pour prendre un CPE. » Aux lycéens qui invoquent le licenciement sans motif, il répond « si vous allez aux prud’hommes, l’employeur sera obligé de motiver le licenciement. D’ailleurs, sur 350 000 CNE signés, il n’y a eu que 271 affaires aux prud’hommes, ce qui est peu. Et parfois le salarié a gain de cause. » Un argumentaire que rejette Muriel Martin, de la CGT : « c’est difficile d’aller aux prud’hommes s’il n’y a pas de raison au licenciement. Beaucoup de salariés n’y vont pas par peur du coût que ça représente et des délais très longs, et souvent les démarches sont interrompues quand le salarié licencié retrouve du travail. »
Roger Meï affirme pour sa part être « contre toutes les mesures de précarité, dont le CNE. Les plus de 26 ans sont solidaires de votre combat, vous représentez l’intérêt général. Avant d’être des producteurs ou des consommateurs, vous êtes des citoyens. » Pour la FCPE, Patrick Flory constate que « l’exemple de société donné depuis des années est assez déprimant. A vous de créer votre avenir. Dans les manifestations, n’entrez pas dans le jeu de la violence, invitez vos parents. » Les lycéens ne s’y trompent pas : « vous dites que la loi pour l’égalité des chances est faite pour les jeunes des banlieues, ça veut dire que nous on n’y a pas droit ? » « C’est triste de pousser les jeunes à accepter la précarité plutôt que leur donner les moyens de s’en sortir. Le CPE met trois millions de personnes dans la rue. Les gens ne se sentent plus représentés ! »
250 000 à Marseille
Mardi 4 avril. La mobilisation ne faiblit pas. Au contraire, l’imbroglio politique au sommet de l’État semble avoir donné un surcroît de motivation à tous ceux qui se battent contre la précarité. Au lycée de Valabre, une poignée d’étudiants préparent des examens, tout en soutenant le mouvement. Des enseignants grévistes ont décidé de faire passer les examens. « J’ai décidé de fermer l’établissement lundi pour des raisons de sécurité, affirme le proviseur Michel Bourdais. Beaucoup d’élèves se sont éparpillés. » Pour Guillaume, lycéen gréviste, « 68% des votants ont décidé le blocage, mais on aurait préféré que le lycée reste ouvert, que les cours n’aient pas lieu mais que les examens soient passés. » Une cinquantaine d’entre eux partent à la manifestation à Marseille.
Ils y rejoignent avec une vingtaine de cars partis de Gardanne une véritable marée humaine, peut-être 250 000 personnes qui vont défiler du Vieux-Port au rond-point du Prado pendant trois heures [1]. « Vendredi CPE, samedi ANPE, dimanche c’est la manche. » « Vous voulez nous avoir à l’usure, mais nous serons toujours là dans le futur... » Ce sera l’ultime journée de mobilisation de masse, celle qui convaincra enfin les parlementaires UMP de lâcher du lest. Le gouvernement jouera encore la montre quelques jours, le temps de ménager une sortie honorable aux uns et aux autres.
Le lundi 10 avril, le CPE est officiellement retiré. Pour la première fois depuis quatre ans, le pouvoir a dû céder devant la détermination d’une majorité de Français. La leçon portera-t-elle ses fruits ?