Celui-là, à tous les coups on en entendra encore parler. Ernst Umhauer, illustre inconnu il y a encore quelques semaines, crève littéralement l’écran et porte — avec Fabrice Luchini — le film sur ses frêles épaules. S’il a cinq ans de plus que le rôle de Claude Garcia (21 ans au lieu de 16), Ernst Umhauer dégage un mélange d’innocence et de perversité, de douceur et de rouerie qui font inévitablement penser à une version ado de Terence Stamp dans Théorème, de Pier Paolo Pasolini.
Autre référence qui vient à l’esprit : Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, moins par le sujet (quoiqu’il y est aussi question de fantasmes et de pouvoir de l’imagination) que par la manière dont Ozon démonte le personnage de Luchini comme Kubrick l’avait fait avec Tom Cruise. Oublié le pédant déclamant La Fontaine ou Céline comme si sa vie en dépendait, place au prof de lettres frustré qui tente de se consoler en se faisant passeur de littérature.
On pense aussi à Woody Allen, quand le personnage de Germain (le prof, donc) s’invite dans des scènes où il n’est pas sensé être, continuant le dialogue avec le jeune Claude. Mais Ozon n’est pas Woody Allen, et encore moins Stanley Kubrick, et son film avance tant bien que mal, plutôt desservi par un scénario bancal : un comble pour un long-métrage qui traite de la création littéraire et de son rapport au réel.
La famille normale, comme on dit aujourd’hui, que Claude rêve d’investir, puis de dynamiter, est finalement plutôt effrayante de bassesse, d’étroitesse d’esprit, de petites ambitions et d’ennui généralisé. Ce père et ce fils qui ont le même prénom (alors que le personnage de Luchini s’appelle Germain Germain, un peu comme Humbert Humbert dans Lolita), tous deux fans de basket et de pizzas, cohabitent avec une femme frustrée dont les aspirations s’arrêtent à la décoration d’intérieur. Autant dire qu’on n’attend que ça, voir ce trio pitoyable percuté par un projectile incontrôlable et dispersé aux quatre vents.
Ce n’est pourtant pas ce qui se passe. Dommage, car dans les leçons que Luchini donne au jeune Umhauer, il y avait deux choses importantes qu’Ozon semble oublier en route : « l’important, c’est ce qui va se passer » et « une bonne fin est celle à laquelle le lecteur ne s’attend pas, mais dont il se dit après coup qu’il ne pouvait pas y en avoir d’autre ». Or il ne se passe pas grand chose, et la fin reste très en dessous de ce que le film pouvait promettre. Cette maison-là (qui ressemble d’ailleurs curieusement à un pavillon standard américain, allez savoir pourquoi) ne cache en fait aucun mystère, et c’est bien dommage.