télécharger l'article au format PDF

Une histoire de fou

Robert Guédiguian a présenté son dernier film en avant-première à Gardanne devant une salle comble. Son film sur le génocide, attendu depuis longtemps, maîtrise parfaitement l’art du contre-pied. Car, comme il le dit, « de toute façon je fais comme je veux ».

Raconter simplement la complexité du monde

L’Arménie, le centenaire du génocide, Robert Guédiguian : la conjonction des trois facteurs devait inévitablement aboutir à un film, et c’est ce qui est arrivé. Une histoire de fou est pourtant bien autre chose qu’une nouvelle œuvre sur le génocide de 1915 perpétré par l’Etat turc contre une minorité qu’il accusait d’être pro-Russe. C’est un film qui raconte simplement la complexité du monde, ce qui n’est pas une mince affaire.

Le procès Tehlirian comme révélateur

La première partie, qui dure un bon quart d’heure, rend ouvertement hommage aux grands films de procès américains comme Douze hommes en colère. A l’aide d’un noir et blanc sublime, Guédiguian nous plonge dans le procès de Berlin en 1921, où est jugé Soghomon Tehlirian, un activiste arménien qui vient d’assassiner l’un des principaux responsables du génocide, l’ex-ministre de l’Intérieur ottoman Talaat Pacha. Ce procès, qui est encore étudié aujourd’hui, aboutira à l’acquittement de Tehlirian par un jury populaire allemand. Comme quoi...

Venu présenter son film en avant-première pendant le festival cinématographique d’automne de Gardanne le 17 octobre, Robert Guédiguian a insisté sur le fait que « à filmer la violence, on risque de la transformer en spectacle. J’ai voulu raconter le génocide à travers le procès de Berlin. Le verdict rendu par ce jury populaire, c’est le plus grand acte de reconnaissance du génocide. Il parle de morale plus que du droit. »

Né lui-même d’un père arménien et d’une mère allemande, Robert Guédiguian rend ainsi indirectement hommage à ses origines. Et à ceux qui, six ans seulement après ce que l’on n’appelait pas encore un génocide, avaient pointé du doigt non seulement la responsabilité criminelle de l’Etat turc, mais aussi la complicité évidente de l’Allemagne qui avait laissé faire et qui avait accueilli Talaat Pacha, condamné à mort par la république turque en 1919.

Une épicerie marseillaise en plein conflit générationnel

JPEG - 36.2 koLa deuxième partie du film se passe à la fin des années 70 à Marseille, et là aussi la reconstitution de l’époque est d’une justesse saisissante, immédiatement reconnaissable par tout ceux qui ont été enfants dans ces années-là. L’épicerie arménienne d’Hovannes et Hanouch est tiraillée par une grand-mère obsédée par le génocide et le fils aîné, Aram, révolté par le fatalisme de son père tenté par la lutte armée. Mais quand il passe à l’action en participant à un attentat contre l’ambassadeur de Turquie à Paris, un jeune cycliste est grièvement blessé...

« Les membres de l’ASALA [1], je les considère comme des héros, affirme Robert Guédiguian. Enfin, les bons. Ce sont des amis, j’en connais beaucoup. Pour eux, tuer un fasciste turc était la même chose qu’exécuter un nazi pendant la guerre. C’était dans la lignée de ce que faisait Manouchian. »

Dans les ruines de Beyrouth

La troisième scène d’Une histoire de fou se situe à Beyrouth, dans la fournaise qu’était la capitale libanaise au début des années 80. Dans les quartiers partiellement détruits par la guerre civile, l’ASALA forme ses combattants et c’est là qu’Aram s’est replié après l’attentat de Paris. Au noir et blanc du prologue et à la lumière douce de l’épicerie marseillaise succède ainsi les couleurs ocres et brunes du Liban ravagé, où les lignes de faille traversent les révolutionnaires eux-mêmes. Il y a ceux qui sont aspirés par le terrorisme et cherchent à frapper l’opinion publique, et les partisans d’assassinats ciblés et revendiqués comme celui de Tehlirian en 1921.

Et puis il y a le personnage extérieur au drame, Gilles, qui a perdu l’usage de ses jambes dans l’attentat de Paris et qui va découvrir après coup la question arménienne. « Je me suis inspiré d’un Espagnol, Jose Antonio Gurrarian, à qui il est arrivé la même chose à Madrid, explique Robert Guédiguian. Il était à la fois innocent et ignorant. Puis il a appris, et cherché à rencontrer les auteurs de l’attentat. Pour moi, ce type est un héros, son geste est politique et éthique. » Du Guédiguian tout craché, en somme. Quand, dans la salle, on lui demande s’il a subi des pressions pendant le tournage, il répond : « Aucune. De toute façon, je fais ce que je veux. »


 

[1Armée secrète arménienne, active dans les années 70-80 et basée à Beyrouth, au Liban