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Dunkerque

Expérience hallucinante en immersion totale, le film de Christopher Nolan est aussi hors sol et quasiment hors contexte historique. Evidente réussite visuelle et sensorielle, mais qui nous laisse sur notre faim.

Dunkerque est un film de fiction, certes. Mais il est inscrit dans le cadre d’un événement historique précis, l’évacuation des troupes britanniques et françaises des plages de la Côte d’Opale dans les premiers jours de juin 1940.

L’histoire est désormais connue : en neuf jours, alors que le groupe des armées A allemandes du général von Rundstedt a stoppé l’attaque, plus de 330 000 soldats britanniques et français (un gros tiers) sont embarqués en direction des côtes anglaises, dans des conditions rocambolesques. L’évacuation a été protégée par deux divisions de l’armée française restées à terre et dont les soldats ont été capturés.

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De tout cela, que voit-on dans le film de Christopher Nolan ? Hormis une enfilade vertigineuse et éprouvantes de scènes chaotiques, où le spectateur est successivement bombardé, noyé, mitraillé et, embrasé, et un arrière-plan patriotique assumé, pas grand chose.

Dunkerque apparaît furtivement dans la scène d’ouverture, assez courte mais suffisante pour repérer quelques anachronismes gênants pour un film à 200 millions de dollars de budget (façades d’immeubles aux couleurs pimpantes, réverbères années 2000).

Les Français sont à ce point absents du décor que le film pourrait aussi bien se passer sur une plage du Pacifique Sud ou du Connecticut. Et le contexte historique quasiment évacué du scénario.

Au film de guerre ce qu’Alien est à la conquête spatiale

En clair, si Dunkerque est un film sur la deuxième guerre mondiale, alors Alien raconte la conquête spatiale et Tarzan la colonisation de l’Afrique. Contrairement aux Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, le premier (en 1957 !) à filmer des scènes de combat en plein chaos, voire à Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg (1998), Nolan ne consacre pas une partie de son film à reconstituer une bataille : c’est l’ensemble du long-métrage qui est cloîtré dans la bataille, sans jamais en sortir, hormis les dix dernières minutes.

Les personnages ne sont pas nommés et quasi interchangeables. Les dialogues réduits au strict minimum. En poussant la logique jusqu’au bout, Dunkerque aurait pu aussi bien être un film muet. Pourquoi pas, après tout ?

Trois strates temporelles imbriquées

Tout n’est pas à jeter, loin de là. Le travail sur le scénario est très intéressant et justifie presque à lui seul de revoir le film pour en saisir toutes les subtilités. Il superpose et imbrique trois récits avec des temporalités différentes : le sort des soldats sur les plages en une semaine, la traversée des petits bateaux mobilisés par l’Angleterre pour évacuer les troupes dure une journée, et les combats aériens qui opposent les Spitfire aux Messerschmitt s’étale sur une heure.

On passe ainsi, avec beaucoup de fluidité et de finesse, d’un récit à l’autre comme s’ils se déroulaient de façon chronologique et simultanée, alors qu’en réalité, la même scène (par exemple un avion britannique abattu qui se pose sur les flots) est vue successivement depuis les airs, depuis la mer et dans le cockpit du pilote qui essaie de ne pas se noyer.

Dommage que Nolan ait considéré que ce double parti-pris (scènes de survie, scénario complexe) devait s’opérer au prix d’un récit hors sol et hors contexte historique. Sans doute ce qui fait la différence entre un bon film et un grand film.