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J’veux du soleil !

Comme les gilets jaunes rencontrés au cours d’un long périple du nord au sud, François Ruffin a fini par trouver le soleil tant recherché. Et c’est maintenant que le printemps arrive...

Début mars, François Ruffin est passé par Gardanne, où il a ses habitudes. Venu pour présenter son film J’veux du soleil ! en avant-première, il avait fait un détour par Biver le matin même pour disputer un match tout ce qu’il y a d’amical entre une équipe de gilets jaunes et des vétérans bivérois, animé par une fanfare en tribune.

« On n’a pas tout les jours l’occasion de faire un foot-fanfare au soleil ! Nous on le veut, le soleil, vous l’avez. Il faut répartir mieux les richesses pour que tout le monde ait droit au bonheur et au soleil. C’est pour ça que je fais de la politique. Je suis heureux quand on vit des moments de surprise, des moments inédits. A travers le film, à travers le foot, à travers les interventions à l’Assemblée nationale, pour qu’on s’emmerde pas dans la vie. La politique, elle se fait par les liens que les gens tissent entre eux. C’est le plus grand mode de résistance anticapitaliste, qui ne se voit pas. »

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Comme les places pour l’avant-première étaient parties en deux heures sur Facebook trois semaines auparavant (et que Facebook est un endroit que je ne fréquente pas), je n’ai pu voir le film qu’un mois plus tard, après sa sortie en salles. Et après avoir lu le livre Ce pays que tu ne connais pas (éditions Les Arènes).

Une inversion de la qualité d’image

Il y a quelque chose d’étonnant dans le documentaire de Gilles Perret (c’est lui qui est à la caméra, Ruffin étant à l’image, les deux constituant l’équipe complète de tournage). C’est une inversion de la qualité d’images. Celles des gilets jaunes sont propres, bien cadrées, à la bonne distance. Celles des extraits des interventions de Macron et des plateaux télé sont de basse qualité, récupérées visiblement sur Internet avec une résolution bien inférieure à celle du tournage, laides comme de mauvaises VHS des années 80.


 

Et c’est évidemment l’inverse de ce qu’on a l’habitude de voir : des images du président tirées au cordeau, des plateaux télé lumineux et bardés d’écrans immenses, et en face des images des gilets jaunes tournées au portable, mal cadrées, les CRS ayant une prédilection pour taper sur ceux qui les filment (entre autres).

C’est un peu comme si la grandeur d’âme des porteurs de gilets fluo et l’étroitesse d’esprits des porteurs de cravate avaient contaminé l’image. Déjà insupportables en temps normal, le mépris et la haine de classe du président de la République sautent ici aux yeux tant le contraste avec les témoignages des gilets jaunes est dévastateur. En ce sens, J’veux du soleil est un film profondément politique.

Un pur moment de cinéma

Il y a aussi dans ce documentaire tourné en une semaine, qui commence sous la pluie froide d’Amiens et qui s’achève sur une plage de Méditerranée, un pur moment de cinéma. C’est dans les dix dernières minutes quand, en vertu du droit à l’esthétique et au bonheur dont parle François Ruffin, le soleil d’hiver et le bruit des vagues sur une plage déserte succèdent aux ronds points glacés, aux villages à l’abandon, aux péages d’autoroute en pleine nuit et aux parkings de supermarchés bétonnés à perte de vue.

Sur cette plage, il y a Marie, une de ces femmes héroïques comme on en a vues tant d’autres dans le film, ces femmes aux vies brisées et recollées tant bien que mal et brisées encore, mais qui jamais ne s’avouent vaincues. Marie chante à capella la ritournelle nostalgique du groupe Au p’tit bonheur, et ces mots prennent un sens nouveau :

J’veux faire danser Maman
Au son clair des grillons
J’veux retrouver mon sourire d’enfant
Perdu dans le tourbillon
Dans le tourbillon de la vie
Qui fait que l’on oublie
Que l’on est resté des mômes
Bien au fond de nos abris

Cette scène-là est somptueuse, à la fois légère, poignante, rageuse et profondément humaine. C’est tout le mérite de François Ruffin de l’avoir provoquée au gré des rencontres et des circonstances, et tout le talent de Gilles Perret de l’avoir si bien filmée.