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Pentagon Papers

En relatant l’affaire qui a fissuré l’administration Nixon en 1971, Steven Spielberg réalise un grand film sur la liberté de la presse et fait écho à la période contemporaine, celle des Fake News et de Donald Trump.

Le calendrier interpelle, évidemment. En janvier 2017, Donald Trump est investi à la Maison Blanche. En mars, Steven Spielberg entre en négociations pour mettre en scène The Post, à partir d’un scénario de Liz Hannah. Le tournage commence fin mai et sort en janvier 2018. Autant dire que Pentagon Papers, comme tout bon film historique, parle au moins autant de la période contemporaine que du début des années 70.

En voyant Meryl Streep dans le rôle de Katharine Graham (la propriétaire du journal), on ne peut s’empêcher de penser à Hillary Clinton, que Streep a soutenue en 2016 (comme Spielberg et Tom Hanks, d’ailleurs). Et pas que pour la ressemblance physique : le contraste violent provoqué par l’arrivée d’une femme dans un conseil d’administration composé exclusivement de costards-cravate à gros cigare fait évidemment écho avec le matraquage médiatique encaissé par la candidate démocrate et orchestré par la droite réactionnaire américaine.


 

Sauf que l’analogie s’arrête là. Le courage et la détermination de Katharine Graham (qui risquait la prison et la disparition du journal tout juste coté en Bourse) n’a rien à voir avec la campagne maladroite et frileuse d’Hillary Clinton qui a réussi l’exploit de perdre une élection imperdable. Si l’on veut faire des comparaisons entre les Etats-Unis de 1971 et ceux de 2018, c’est plutôt du côté de la liberté d’informer qu’il faut chercher.

Daniel Ellsberg, le Snowden de 1971

Les Pentagon Papers, c’est l’équivalent des Wikileaks ou plus exactement des documents transmis en 2013 à la presse par le consultant de la NSA Edward Snowden. Mais en 1971, les clés USB n’existaient pas, Internet non plus et les communications par mails chiffrés encore moins. Le premier lanceur d’alerte de l’histoire, Daniel Ellsberg (qui aurait d’ailleurs pu être le vrai personnage central du film) a eu recours aux service d’un photocopieur gros comme un camion-benne, et transportait des milliers de feuillets dans un bonne vieille boîte en carton fermée à la ficelle.

La révélation par le New York Times puis le Washington Post du contenu de ce rapport secret du Pentagone sur les relations entre les Etats-Unis et le Viêt Nam entre 1947 et 1967 est la première faille du séisme qui va pousser Nixon à la démission. Les Pentagon Papers révélent entre autres que le bourbier vietnamien était ingagnable, mais qu’il était essentiel d’intensifier les combats afin d’éviter une humiliation en pleine guerre froide. Et ce, au prix de dizaine de milliers de morts côté américain, et d’un million et demi de victimes côté vietnamien.

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Le film de Spielberg est construit sur une série d’oppositions : hommes/femmes, on l’a vu, peuple/élite, presse/actionnaires, Etat/justice, armée/civils, tradition/modernité. Ces oppositions irriguent chaque scène, portées par le duo impeccable Meryl Streep/Tom Hanks et comme toujours avec l’auteur des Dents de la mer, filmées avec lyrisme : Spielberg arriverait à rendre spectaculaire la taille d’un crayon à papier.

Bombardement de journaux au petit matin

Car Pentagon Papers rend aussi hommage à la presse au deux sens du terme : le contenu et le contenant. Ici, les journaux n’ont rien de virtuel, ils ont une forme, un poids, une texture, c’est tout juste si on ne sent pas l’encre fraîche à la sortie des rotatives. La distribution par liasses jetées sur la chaussée depuis l’arrière des camions au petit matin évoque ainsi un bombardement. La mise en forme des pages sur la Linotype, les caractères en cuivre agencés à toute vitesse, le plomb fondu qui s’écoule, toute la machinerie d’une imprimerie industrielle ressemble presque aux entrailles du Titanic.

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L’histoire se finit mieux pour le Washington Post que pour le paquebot de la Star Line : contrairement au second, le premier n’a pas coulé malgré les efforts de la Maison Blanche. Au contraire, c’est lui qui portera l’estocade en 1972 avec le deuxième scandale de la présidence Nixon, l’affaire du Watergate. Celle du Russiagate coûtera-t-elle sa place à Donald Trump ? Là aussi, le Post est en première ligne.