D’abord, il y a le clin d’œil à Titanic. La salle des machines qui grince, qui souffle et qui mugit, la mer qui défile à toute vitesse le long de la coque, la proue sur laquelle se perche une jeune femme les bras en croix, et un homme qui lui demande : « tu te prends pour Kate Winslet ? » Elle lui répond, du tac au tac : « plutôt pour DiCaprio ». Fidelio n’est pas Titanic, c’est juste un navire marchand comme il y en a des dizaines de milliers qui sillonnent les océans.
Fidelio est vieux, il lâche un peu de partout et il est promis à la casse. Son équipage est en bleu de travail et maculé de cambouis, il y a des Philippins qui jettent un sort aux machines et un Roumain qui pense à sa petite amie. Et il y a Alice. Alice, c’est la seule femme à bord, et ce n’est pas une prostituée sénégalaise invitée un soir d’escale. C’est un marin, second maître, et bien décidée à se faire respecter.
Fidelio, c’est aussi un film, dont le budget doit représenter une demi-journée du cachet de Leonardo DiCaprio. Aux manettes, Lucie Borleteau, jeune réalisatrice venue du court métrage et qui, pour son premier long, choisit un format d’image ambitieux, un cinémascope parfaitement adapté aux panoramiques maritimes mais aussi aux nombreuses scènes de huis clos dans le navire. Sa mise en scène est remarquable de fluidité et de précision, à la fois ondoyante et nerveuse comme son héroïne.
Il faut dire un mot d’Ariane Labed. Il est rare de voir une actrice inconnue crever l’écran à ce point. De mémoire, on citera Paz Vega (Lucia y el sexo) ou plus récemment Adèle Exarchopoulos (La vie d’Adèle). L’interprète d’Alice est désarmante de spontanéité, de fraîcheur, d’appétit de vivre, à tel point qu’elle cannibalise les deux rôles masculins qui lui font face, son petit ami norvégien et le capitaine du Fidelio avec qui elle a eu une liaison jadis. Ce dernier, joué par Melvil Poupaud, qui n’est pourtant pas le premier venu, est dévoré tout cru par Alice/Ariane qui lui fait comprendre que les temps ont changé, y compris pour les mâles dominants.
Enfin, ce Fidelio est une métaphore flottante que ne renierait pas Ken Loach. Plus qu’une histoire d’amour sur le thème une femme et deux hommes, c’est un film remarquablement écrit sur notre époque dont les marins sont les nouveaux prolétaires. Equipages hétéroclites, navires au bout du rouleau, marchandises achetées et revendues plusieurs fois pendant le trajet et modifiant sans cesse la destination, corps jetés à la mer pour éviter les procédures administratives : Fidelio donne à voir la salle des machines de la globalisation. Et tous ceux qui y consacrent leur vie avec leur grandeur, leur misère, leur solitude et leurs croyances. Un petit fragment d’humanité.