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Gravity

Prodigieux space opera en apesanteur baigné par le bleu-vert de la Terre, Gravity est une très bonne surprise. La preuve qu’il est possible de faire du grand cinéma en respectant les spectateurs.

A 600 kilomètres de toute terre habitée

Quels sont les plus grands films situés dans l’espace ? Si l’on pose la question, c’est que Gravity postule sérieusement au palmarès, à la hauteur du 2001 l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick et du Alien de Ridley Scott. Et pas forcément à la troisième place...

Gravity serait-il, au fond, un grand film contemplatif ? Et en ce sens, ne dynamite-t-il pas les codes du genre, le space opera, comme les débris métalliques pulvérisent littéralement la malheureuse station spatiale internationale ? On se retrouve à la fois en terrain connu (la panique, le manque d’oxygène, la course contre la montre, la mécanique qui ne répond plus) et dans un lieu complètement nouveau, une perturbation totale des sens.

JPEG - 58.1 koLa 3D, dont l’apport à l’image cinématographique est souvent discutable, est ici parfaitement à sa place : elle contribue sans ostentation à donner du relief à l’image, entre les objets flottants au premier plan (du rubik’s cube à la raquette de ping-pong en passant par les débris mortels lancés comme des projectiles et dévastant tout sur leur passage) et le globe terrestre à l’arrière plan, parfois sous nos pieds, parfois au-dessus de notre tête, car bien sûr dans l’espace il n’y a ni haut ni bas.

Alfonso Cuaron nous offre des plans d’une beauté sidérante, ceux de la Terre vue à six cents kilomètres d’altitude. Assez loin pour se sentir isolé dans un milieu particulièrement hostile, assez près pour admirer les détails des côtes, les amas nuageux, les aurores boréales ou des levers de soleil qui dessinent à la surface du globe un grand cercle de lumière.

Les couleurs sont extraordinaires, et ce d’autant plus que dans l’espace, il n’y a que du blanc (celui des engins, et celui des combinaisons) et du noir, celui du ciel. Mais c’est un noir et blanc somptueux, velouté, riche en contraste. Du coup, les seules couleurs viennent de la surface de la Terre. Soit de façon directe, soit en arrière plan, soit encore par des reflets subtils sur la visière des casques. Et ces couleurs sont d’une richesse infinie, avec une dominante de bleus et de verts qui montrent à quel point notre planète est belle et vivante. Et fragile, bien entendu.

Le film explore tant de pistes qu’il serait prétentieux d’en faire la liste. Il est question d’immensité et d’infiniment petit, de claustrophobie et de vide, de dedans et de dehors, d’organique et de mécanique, de pureté et de pollution évidemment, puisque l’accident spatial au début du film est provoqué par la destruction d’un satellite par un missile qui génère un nuage de débris propulsés à 80 000 kilomètres/heure autour de la Terre. Autant dire qu’il n’est pas conseillé du tout d’en croiser un sous peine de gros dégâts dans la face. C’est juste ce qui nous attend à cours terme si l’on continue à faire de notre Terre une décharge à ciel ouvert.

La piste la plus évidente, et la plus audacieuse, est celle de l’espace comme un fœtus, environnement dangereux et lieu possible de renaissance, où le corps humain ballotté en tout sens est relié par un cordon ombilical à un organisme supérieur dont il doit se séparer pour grandir, au risque évidemment de périr. Et là, bien sûr, on ne peut pas ne pas penser au fœtus astral qui termine 2001 l’odyssée de l’espace. La boucle est bouclée.