TRAVAILLER PLUS POUR NE RIEN GAGNER
C’est un monde libre, donc. Où la liberté est celle du renard dans le poulailler, bien sûr. Dans It’s a free world, les poules promises au massacre sont des travailleurs, souvent sans papiers, venus du monde entier tenter leur chance à Londres. Le renard, quant à lui, a l’apparence avenante d’une blonde vêtue d’une combinaison de cuir qui décide de tenter sa chance en montant (sans aucune déclaration officielle) une agence de travail temporaire.
C’est un milieu qu’elle connaît bien, Ange, pour y avoir travaillé et l’avoir quitté brutalement après qu’un collègue de travail se soit cru autorisé à lui mettre la main aux fesses. Associée à son amie Rose, qui ne cesse — en vain — de l’alerter sur les risques qu’elle prend, Ange met le doigt dans un engrenage où tous les coups sont permis. D’un côté, une main d’œuvre taillable et corvéable, comme disait quelqu’un dans un 19ème siècle pas si éloigné du nôtre, de l’autre, des employeurs qui s’assoit sur ce qui reste du code du travail britannique.
La force du film de Ken Loach, c’est de réfuter tout manichéisme : Ange, elle-même victime du système (mère célibataire très jeune, elle est endettée et perpétuellement en quête d’argent), le nourrit en vertu du principe que tout le monde peut saisir sa chance, surtout dans un pays aussi laxiste que la Grande-Bretagne. Capable tout à la fois de rejeter sans pitié un homme trop vieux pour travailler et d’accueillir chez elle un couple d’Iraniens sans papiers et leurs deux enfants, elle avance à tâtons, persuadée que son dynamisme et son esprit d’entreprise lui permettront de réussir.
Mais dans ce monde libre-là, on trouve toujours moins scrupuleux que soit, et les prédateurs chassent le renard comme celui-ci chasse la poule. Quand l’argent des salaires ne rentre pas, Ange se trouve prise en étau entre les employeurs qui l’arnaquent et les ouvriers qui la menacent. C’est la loi de la jungle qui s’applique alors, celle du plus fort qui cogne, rackette et enlèvent les proches.
Ken Loach excelle dans les scènes où ses personnages se retouvent dans la nasse, comme ceux de Raining stones par exemple. Son sens du découpage, des éclairages urbains, des gros plans sur les visages et des dialogues (qui ont valu à Paul Laverty le prix du meilleur scénario à Venise) font de ses films des œuvres de fiction solidement ancrées dans la réalité de notre monde. Notre monde libre.