Qu’y a-t-il de plus angoissant, au fond, qu’une assemblée de chasseurs levant le coude après une journée de traque au cerf ? Peut-être un réveillon de Noël avec sa convivialité factice et son opulence de pacotille. Ou une assemblée de parents dans une maternelle (plus précisément, un jardin d’enfants, puisqu’on est au Danemark) au moment où on leur annonce qu’il y a sans doute eu abus sexuel de la part d’un éducateur. Ces plans-là, Thomas Vinterberg leur donne une sorte de force brute, de violence rentrée qui explose parfois, comme la vapeur dans un autocuiseur sous pression.
Lucas est un homme que l’on pourrait qualifier de posé et de rassurant, d’ailleurs les enfants l’adorent. Et notamment la petite Klara, que les parents négligent. C’est elle, avec un mensonge absurde que les adultes prennent à la lettre, qui va mettre le feu aux poudres. Dès lors, les conventions volent en éclat et la violence surgit, celle qui cimente les communautés autour d’un bouc émissaire.
Que reste-t-il à Lucas qui porte sur son visage la marque de l’infâmie ? Quitter le village après avoir perdu son travail et chassé sa petite amie qui commence à avoir des doutes ? Impossible. Lucas est innocent et il est décidé à se battre, en comptant ses maigres appuis : un ami, son fils. Et quand on dit se battre, c’est d’abord au sens propre, à coups de poings, à coups de tête. Seul contre tout un village, il n’a bien sûr aucune chance, même après que la police n’ait retenu aucune charge contre lui. Mais c’est une question de dignité.
La grande qualité du scénario de Vinterberg, c’est justement cette dignité qu’il accorde à tous ses personnages. Comme le dit Mads Mikkelsen, il n’y a rien de ce qu’ils font qu’on puisse leur reprocher, mais il font tout au mauvais moment. Tout comme les enfants, prêts à fabuler comme si le mensonge était contagieux, les adultes font bloc contre Lucas sans même chercher à l’entendre. Et quand la petite Klara admet qu’elle a raconté n’importe quoi, que rien n’est vrai, bien entendu on ne la croit pas.
C’est ce décalage entre le plausible et le réel, entre la raison et l’instinct que Vinterberg traque par des plans serrés sur les visages, dans ces intérieurs banals où cependant l’on aperçoit des bois de cerfs ou des fusils de chasse en un rappel subliminal de la sauvagerie blottie dans les maisons bourgeoises. On ne dira rien de la fin de l’histoire, bien entendu, mais bien malin qui pourra l’anticiper, même si rétrospectivement elle semble évidente.
La chasse sort le 14 novembre.