La graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche avec Habib Boufarès et Hafsia Herzi (France, 2h31)

, par Bruno

Après le succès de L’esquive, Abdellatif Kechiche ancre son histoire dans le port de Sète, où Slimane, un immigré de soixante ans qui vient de perdre son travail, tente de se reconstruire en ouvrant un restaurant sur un bateau désaffecté. Embûches administratives, jalousie et histoires de famille vont compliquer l’affaire, mais la vie est plus forte que tout.

À CŒUR VAILLANT, RIEN D’IMPOSSIBLE

Le mulet, dans l’histoire, ce n’est pas le croisement de l’âne et du cheval, mais un poisson appelé aussi muge, et qui se pêche aussi bien en eau douce qu’en mer. Dans le port de Sète, Slimane travaille à réparer des bateaux. Pas assez vite, selon son patron qui le pousse dehors. A soixante et un ans, Slimane se retrouve sans emploi, séparé de sa femme et sans désir de vivre. Ses deux fis l’incitent à retourner au bled, où il aura sa place. C’est la fille de sa compagne, Rym, qui va lui redonner espoir en l’incitant à concrétiser un vieux projet : ouvrir un restaurant à bord d’un bateau désaffecté. Commence alors la ronde des démarches administratives auprès de la banque, des élus et des autorités portuaires, qui bien entendu ne croient pas un instant à la viabilité de l’affaire...

C’est moins dans cette quête que dans la description des rapports familiaux, complexes et riches, que La graine et le mulet captive à chaque plan. Famille fusionnelle traversée de crises violentes, comme celle de Souad, l’ex-femme de Slimane qui réunit tous les dimanches sa tribu, conjoints et petits-enfants inclus, autour du couscous. Famille isolée comme celle de Rym et de sa mère, la maîtresse de Slimane qui gère un petit hôtel sur le port. Abdellatif Kechiche filme au plus près, dans des longs plans séquence cadrés serré sur les visages, les gestes d’amour, les coups bas, les sous-entendus et les chagrins. Les éclats de colère aussi, comme celui, terrifiant, qui terrasse Julia, trompée par son mari absent et humiliée par sa belle-famille.

Les femmes se taillent la part belle et les hommes font profil bas. Le portrait des notables locaux, invités à un repas inaugural sur le bateau retapé et qui spéculent sur l’échec de l’entreprise, est particulièrement grinçant. Et les quatre vieux musiciens qui animent la soirée, sorte de Bueva Vista Social Club sétois, font preuve d’une dignité à toute épreuve. On ne racontera pas ce qui attend Slimane, contre qui le sort s’acharne mais qui fait face avec courage, déterminé à aller jusqu’au bout de son projet, quel qu’en soit le prix.