L’histoire commence un peu comme Jean de Florette. On est dans un village arabe, dans un pays non identifié, de nos jours. Un village du bout du monde, sans électricité et sans eau courante. L’eau, il faut aller la chercher à la source, un peu plus haut sur la colline, et la transporter à d’eau d’homme. Ou plus exactement, à dos de femme.
Depuis toujours ce sont elles qui prennent en charge la corvée d’eau. C’est une tâche humiliante et épuisante et de nombreuses femmes enceintes y ont perdu leur bébé. Jusqu’au jour où Leïla, horrifiée par une nouvelle fausse couche suite à une mauvaise chute, le jour même où le village fête la naissance (d’un garçon), décide que ça suffit. Les hommes, qui passent leur journée à discuter à l’ombre, doivent faire venir l’eau au village. Et tant que ce ne sera pas fait, les femmes feront la grève. De l’amour.
L’idée est folle, et pourtant, Radu Mihaileanu, cinéaste français d’origine roumaine, ne l’a pas inventée. L’histoire est authentique, elle est arrivée il y a dix ans dans un village de Turquie, et elle a bien failli mal se terminer, jusqu’à ce que l’Etat finisse par intervenir. Pour parvenir à ses fins, Leïla doit d’abord convaincre ses compagnes, au départ très réticentes. C’est le Vieux Fusil, une vieille femme qui ne craint personne qui la soutiendra et l’aidera.
Rien de manichéen dans cette histoire. Mihaileanu évite avec soin les clichés, jeunes modernistes contres anciens traditionnalistes, cultivés contre ignorants et bien sûr femmes audacieuses contre hommes pleutres et brutaux. Par exemple, Sami, le mari de Leïla, a tout du héros au grand cœur. Instituteur, il représente le savoir laïc dans un village confit dans les traditions. Mais lui aussi a ses mauvais côtés, capable de laisser éclater sa rage en apprenant que Leïla a retrouvé un ancien amour.
Le film ne se refuse aucune audace, pas même celle de contester, par la voix des femmes convoquées à la mosquée du village, l’interprétation du Coran faite par l’imam. Il est constamment drôle aussi, jouant sur l’absurde de la situation qui provoque chez les unes autant de crainte que d’excitation et chez les autres autant d’indignation que d’impuissance, c’est bien le mot.
Il y a beaucoup de poésie enfin dans La source des femmes, que ce soit dans les nombreuses scènes chantées où les paroles, improvisées, sont autant de slogans revendicatifs, ou dans les dialogues filant les métaphores amoureuses sorties tout droit des Mille et une nuits. Aussi âpre soit-elle, la lutte n’est pas triste. Elle est parfois même splendide.