Dieu sait si on a parlé de cette Vie d’Adèle depuis Cannes. Les témoignages du tournage, extrêmement peu flatteurs pour Abdellatif Kechiche, ont été suivis par des échanges plutôt gratinés entre ce dernier et Léa Seydoux. Bref, finis les bisous sur la scène du festival, place aux taloches et aux tacles à la gorge.
<media1655|embed|right|class=shadow>Restait tout de même à voir le film et à le comparer aux critiques dithyrambiques qu’il a inspiré. Que dire ? Tout d’abord que l’ensemble est trop long. Les scènes d’école sont certes attendrissantes et plutôt bien filmées, mais elles n’apportent pas grand chose au scénario. Rien qui ne justifie trois heures en tout cas.
D’autre part, les fameuses scènes de sexe, hétéro ou homo, sont filmées de façon très naturaliste, avec plus de passion et d’appétit que de tendresse d’ailleurs, mais elles ne révolutionnent pas le genre. Et les remarques de Julie Maroh (l’auteure de la BD Le bleu est une couleur chaude à l’origine du film) sont intéressantes à lire, sur la représentation par des hétéros (le réalisateur et les deux actrices) du sexe lesbien sont intéressantes. Oui, ces scènes sont gênantes à voir, elles sonnent faux, le regard est très ambigu.
Sinon, il y a dans La vie d’Adèle des moments de mise en scène magnifiques, notamment celles sur un banc, où Adèle et Emma font leur première approche. Kechiche filme de très près, comme toujours, le grain de la peau, et la lumière dans les yeux sublimées par le soleil rasant qui illumine le regard noisette d’Adèle Exarchopoulos et les yeux bleus de Léa Seydoux (voir l’extrait vidéo ci-dessous). Ou, plus loin, quand les baisers échangés masquent puis laissent apparaître un astre éblouissant.
Autre scène terrible, véritable mise à mort verbale, devant le lycée d’Adèle où ses copines la lynchent littéralement par les mots après l’avoir vue aux côtés d’Emma. Que le film soit récompensé quelques semaines après l’adoption de la loi sur le mariage pour tous n’est bien sûr pas une coïncidence : le déferlement de bassesse et d’ignorance crasse est bien là, même en 2013.
La vie d’Adèle est au moins autant, sinon plus, un film sur les classes sociales — et en particulier la classe cultivée et celle qui ne l’est pas — qu’un film sur une passion amoureuse. Adèle est une proie trop tendre pour Emma qui a besoin d’une muse pour accéder à son statut d’artiste, et qui la jette quand elle n’en a plus besoin. Et au milieu des invités branchés et pédants d’Emma, Adèle est autant déplacée qu’un dromadaire sur la banquise.
Enfin, on aurait pu croire que Léa Seydoux, avec son vécu d’actrice, allait éclipser Adèle Exarchopoulos qui n’en était certes pas à son premier film (elle a commencé au cinéma en 2006), mais dont le visage n’était pas encore connu. Tout faux. Léa se défend bien, surtout dans la première partie, quand elle éveille Adèle au vrai amour. Mais Adèle, elle, illumine le film, le remplit, le comble, le porte et le secoue dans tous les sens. Ce qu’elle fait, de la petite lycéenne timide à la jeune femme blessée, est absolument remarquable. D’une scène à l’autre, elle est tour à tour naïve, solaire, boudeuse, craquante, ravagée, dans une performance d’actrice qui rappelle (dans un autre registre et à un âge différent) Naomi Watts dans Mulholland Drive ou encore Paz Vega dans Lucia y el sexo. On a hâte de la revoir.