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Le discours d’un roi

Oublions les quatre Oscars et accordons un œil — et une oreille — sans a priori au film de Tom Hooper sur le roi George VI. S’il y est bien entendu question de discours, on y découvre les débuts de la société du spectacle avec l’irruption de la radio. Dommage toutefois que ce beau sujet soit un peu éclipsé par le jeu d’acteurs de Colin Firth et de Geoffrey Rush.

Albert en direct à l’antenne

En 1925, dans le stade de Wembley, pour la première fois un discours royal est enregistré à la radio à l’occasion de l’exposition de l’empire britannique. George V invite pour l’occasion ses deux fils, Edward et Albert, à s’exprimer au micro lors de l’ouverture et de la clôture de l’événement. Mais Albert, surnommé Bertie, est bègue. Autant dire qu’aligner plus de trois mots, qui plus est en public, est pour lui un véritable calvaire.

Or, l’irruption de la TSF (transmission sans fil) marque l’entrée du siècle dans les prémisces de la société du spectacle. Désormais, pour être chef d’Etat, ou monarque, il ne suffit pas d’emporter la conviction de milliers de personnes lors d’un meeting ou d’une cérémonie officielle, il faut savoir aussi parler dans le poste. Et faire ainsi irruption dans les foyers de millions de personnes.

C’était là un sujet magnifique, d’autant qu’il était facile de mettre en parallèle la place de la radio en Allemagne, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Des discours hystériques de Hitler à celui, fondateur, de de Gaulle en juin 40 en passant par les causeries au coin du feu de Roosevelt, la voix radiodiffudée a joué un rôle central dans ces années-là.

Ce n’est pourtant pas cet angle que Tom Hooper a choisi, mais celui, plus anecdotique, des relations entre le prince d’York et Lionel Logue, orthophoniste australien et autodidacte qui va dynamiter, avec ses méthodes non conventionnelles, l’étiquette corsetée des Windsor. Le discours d’un roi aurait pu être aussi l’histoire de la façon dont George VI se libère peu à peu d’une hérédité écrasante pour devenir peu à peu lui-même. Mais ce n’est pas le cas.

Au final, il reste un film de bonne tenue, un peu trop propre sur lui sans doute. Et qui évite consciencieusement de s’attarder sur l’étrange attirance de la classe politique anglaise vis-à-vis du régime hitlérien. L’éphémère Edward VIII (frère aîné d’Albert) n’avait d’ailleurs jamais caché en quelle estime il tenait le IIIème Reich. Bien sûr, il y a quelques coups de griffe à une monarchie britannique complètement dépassée par les événements : ainsi le premier ministre Baldwin était très contrarié par le fait qu’Edward VIII souhaitait se marier avec une femme divorcée, mais peu concerné par le contexte international. Son remplacement par le calamiteux Chamberlain (celui des accords de Munich en 1938) allait ouvrir un boulevard à Winston Churchill, que l’on voit furtivement ici.