Le vent se lève

, par Bruno

Quoi de pire, dans une guerre, qu’une armée d’occupation ? Quoi de plus terrible qu’une guerre civile qui déchire les communautés, les villages et les familles ? En racontant les jours terribles du conflit irlandais, au tournant des années 20, Ken Loach frappe au cœur et au corps en retrouvant l’énergie, la justesse et la colère de Land and freedom.

IRLANDE AND FREEDOM

Jusqu’à son dernier souffle, Ken Loach fera de la politique. Jusqu’à son ultime soupir, Ken Loach sera un homme de gauche. Pas comme Tony Blair, non. Comme ces hommes et ces femmes qu’il filme depuis trente-cinq ans. Ken Loach est né en juin 1936, alors même que le Front populaire soulevait le peuple de France, quelques semaines avant le putsch franquiste en Espagne et dont il racontera la guerre dans le magnifique Land and freedom. A soixante-dix ans, il est reparti de Cannes avec une Palme d’or pour son dernier film, The wind that shakes the barley, traduit en français par Le vent se lève.

Ce vent, c’est celui de la révolte qui agite l’Irlande républicaine en 1920. Aux élections de 1918 largement remportées par le Sinn Féin, l’empire britannique répond par le mépris et la violence, envoyant sur l’île des troupes de fous furieux tout juste sortis du bourbier de la première guerre mondiale. Loach ne prend pas de gants pour filmer la sauvagerie de cette armée d’occupation qui a droit de vie et de mort sur tout citoyen irlandais : l’un d’eux est ainsi tué pour n’avoir pas prononcé correctement, c’est-à-dire à l’anglaise, son prénom. Dès lors, il n’y a plus beaucoup de choix : résister ou se soumettre. Les extraordinaires paysages irlandais servent de décor à des scènes d’entraînement (avec des fusils en bois) et, très vite, à des guet-apens dont les soldats britanniques sont les victimes.

L’horreur des scènes de torture répond à celle où un tout jeune domestique, illettré et visiblement dépassé par la situation, est abattu d’une balle dans la tête pour avoir trahi la cause. Car dans Le vent se lève, comme dans toutes les œuvres adultes et lucides, il n’y a pas de héros, ni de manichéisme. Le jeune Damien, diplômé en médecine et beau garçon, n’a pas les mains plus propres que les autres, même s’il reste fidèle à ces convictions jusqu’au bout et au dénouement tragique, à tous les sens du terme.

Quant à la fin 1921, le gouvernement anglais négocie un traité de paix avec les nationalistes irlandais, le piège se referme. En apparence, l’Irlande est autonome, mais elle reste sous la domination de la couronne. Et les soldats britanniques sont remplacés par des militaires irlandais, avec un uniforme vert. Ces derniers matent la rebellion naissante chez les républicains avec les mêmes excès que leurs prédécesseurs.

Le jour se lève est un film dur, sec, indispensable pour comprendre ce qui a nourri le conflit irlandais jusqu’au début du 21ème siècle. Il met aussi en évidence, et sans aucune concession, la condition misérable des Irlandais de l’entre deux guerre. Après tout, en 1920, la grande famine de 1848 n’est pas si loin. Et quand Damien est appelé au chevet d’un gamin malade dans une ferme, le diagnostic serre le cœur : l’enfant n’a rien, mais il est affamé. D’où la lutte féroce entre les tenants d’une république socialiste et égalitaire, et ceux qui sont prêts à négocier avec l’occupant pour glaner des bribes d’autonomie. On ne doute pas un instant du côté dont Loach se sent proche. Et c’est pour ça qu’on l’aime.

P.-S.

un film de Ken Loach (Grande-Bretagne) avec Cillian Murphy, Padraic Delaney, Liam Cunningham.