Gilles Perret est sans pitié. Le réalisateur de Walter, retour en résistance ou De mémoire d’ouvriers a eu l’idée, un peu perverse avouons-le, de nous offrir en dessert de ses Jours heureux quelques interviewes des politiques actuels. Après les sommets de courage, d’héroïsme, d’inventivité et d’audace dont ont fait preuve Léon Landini, Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Daniel Cordier ou Robert Chambeiron, nous voilà descendus des épaules des géants pour admirer les nains qui nous gouvernent ou prétendent le faire : François Bayrou et Jean-François Copé sont pitoyables.
Si Jean-Luc Mélenchon s’en tire plutôt bien, François Hollande est presque grandiose dans le n’importe quoi. Il affirme benoîtement que « quand on est faible, on a une voix faible ». Et quand Gilles Perret lui demande ce qu’il peut faire, lui président, contre la finance folle et l’ultralibéralisme à tout crin, il répond dans un sourire ravi : « je suis au pouvoir pour pouvoir ». L’ironie de l’histoire est que cet entretien élyséen ait été enregistré le jour-même de la mort de Stéphane Hessel.
Mais avant tout ça, il y a eu près d’une heure vingt d’histoire chaude, celle racontée par ses protagonistes. Il y avait urgence à enregistrer leur témoignage, puisqu’on l’a vu, Stéphane Hessel est mort en février 2013 (à 95 ans) et Raymond Aubrac nous a quittés en avril 2012 (à 97 ans). Quant à Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, il a actuellement 93 ans, et Robert Chambeiron a fêté ses 98 ans. Pour avoir eu la chance de rencontrer Raymond Aubrac en 2008, je peux affirmer que ces hommes-là dégagent un charisme et une force de conviction extraordinaires.
On le retrouve d’ailleurs dans le film, notamment dans la première partie, calquée sur celle du programme du CNR qui définit la condition de la lutte armée sous l’Occupation. Léon Landini, le plus jeune de la bande (87 ans quand même) revient dans la prison de Montluc à Lyon où, se souvient-il, les prisonniers se mirent à chanter la Marseillaise puis l’Internationale en août 1944 pendant que les combats faisaient rage dans les rues.
Le film retrace la génèse du CNR, depuis les premières approches de Jean Moulin dès 1940 jusqu’à la fameuse réunion clandestine du 27 mai 1943, rue du Four à Paris. Quelques jours plus tard, Moulin était arrêté à Caluire, mais le CNR lui survivrait. Articulé autour de deux volets, l’action immédiate et les réformes profondes à la Libération, le programme du CNR, titré Les jours heureux, a réussi le miracle de fédérer partis, syndicats et mouvements de Résistance autour d’un projet commun.
Ce projet, rappelons-le, est le socle de l’Etat social que nous connaissons, et que politiques de droite comme de gauche s’emploient à démolir depuis trente ans : sécurité sociale, régimes de retraite, nationalisations de l’énergie et des banques, liberté de la presse... Un programme révolutionnaire conçu sous la terreur nazie et appliqué dans un pays en ruines où tout était à construire.
« La chance, rappelle l’historien Laurent Douzou, c’est qu’il n’y avait pas de consitution entre 1944 et 1946, c’était une situation parfaite pour appliquer le programme du CNR ». Une fois la quatrième république installée dans ses meubles, les divisions allaient reprendre et la gauche se diviser.
Robert Chambeiron a d’ailleurs des mots féroces contre les gaullistes ou prétendus tels d’aujourd’hui : « je leur dit de prendre le temps de lire les mémoires du général. Ils apprendraient des choses, tiens. Mais bien sûr ils ne les ont pas lues. » Quant à la gauche, elle y a droit elle aussi : « Pendant l’occupation et à la Libération, le centre de gravité politique en France s’est déplacé très à gauche. Dans le CNR, même les représentants des partis de droite étaient plus à gauche que la gauche actuelle. » Sans même parler du président de la République, évidemment.