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No country for old men

Aussi glaçant que Fargo, beaucoup plus fort que The Barber, le dernier film des frères Coen mélange thriller et road-movie dans un no man’s land composé de désert texan, de motels miteux et zone frontière. Et fait incarner par Javier Bardem un exterminateur métaphysique venu d’on ne sait où.

UNE ROUTE SEMÉE DE CADAVRES

Combien de cadavres dans No country for old men ? Combien de types qui n’auront pas eu le temps de vieillir, et dont le corps gonflé criblé de balles de gros calibre sèche lentement sous le soleil du désert ? On en perd vite le compte, avant même que l’invraisemblable Anton Chigurh fasse son apparition et montre à un jeune policier à quel point il est imprudent de lui tourner le dos. On sait qu’avec les frères Coen, les cadavres ressemblent vraiment à des cadavres, et les scènes de carnage à des étals de boucherie remplis de viande avariée. En adaptant le roman de Cormac McCarthy (sorti en France l’an dernier), Joel et Ethan se sont replongés dans les sources de leur cinématographie, entamée il y a vingt-quatre ans, dans le Texas déjà, avec Sang pour sang.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est une réussite. Tommy Lee Jones y incarne un shérif au bout du rouleau, dépassé par une époque qu’il ne comprend plus, et qui ressemble au personnage de Clint Eastwood dans le magnifique Un monde parfait. Dès le début, on sent bien qu’il n’a aucune chance d’arrêter Anton Chigurh, de même que ce malheureux Llelewyn, pauvre type tombé au mauvais endroit au mauvais moment, ne pourra pas lui échapper. Rien n’y personne ne peut arrêter Chigurh, de toute façon. C’est une incarnation vivante du mal, comme l’a imaginé Stephen King dans le Fléau sous les traits de Randall Flagg. Tueur sans état d’âme mais doué du sens de la conversation, capable de jouer la survie de ses victimes à pile ou face ou de tirer sur un corbeau qu’il croise sur la route, et muni de la plus improbable et de la moins maniable des armes : une sorte de canon pneumatique arrimé à une bouteille d’air comprimé. Encombrant, mais terriblement efficace, aussi bien pour creuser des trous dans les boîtes crâniennes que pour forcer une serrure récalcitrante.

L’humour (très noir, bien sûr) côtoie ainsi le suspense, les moments de grande tension succèdent aux passages contemplatifs, brouillant les codes du road movie et du thriller. La mise en scène, nerveuse et ample, tantôt cadre serré les visages comme le faisait Sergio Leone, tantôt balaie de larges panoramiques les paysages désertiques du Texas. Si ce pays n’est pas pour les vieux hommes, les frères Coen (âgés de 51 et 54 ans) savent mieux que quiconque le raconter.