Il y a des films comme ça que l’on attend avec impatience parce qu’on a lu un article enthousiaste ou (plus rarement) parce que la bande-annonce semble prometteuse. Parfois, pas toujours, cette attente mêlée d’appréhension laisse place, après la projection, à la joie profonde d’avoir vu quelque chose qui marquera, que l’on reverra à coup sûr et que l’on a envie de partager.
C’est le cas de Nostalgie de la lumière. Patricio Guzman, soixante-neuf ans, n’est pas un cinéaste prolifique. En France, il est connu essentiellement pour ses documentaires sur Pinochet et sur Allende, remarquables d’ailleurs. Mais avec son dernier film, qui sort en France le 27 octobre, il franchi un palier philosophique et métaphysique.
Nostalgie de la lumière est à la fois un grand film contemplatif, rythmé par des plans d’une grande beauté graphique sur la voute céleste, le désert d’Atacama, mais aussi les mécanismes d’un vieux télescope allemand ou la trace laissée par une mine de graphite sur le grain du papier, et un film profondément philosophique.
C’est une réflexion magnifique sur la place de l’homme dans le cosmos et sur la relation au temps, omniprésente dans la voix off (le réalisateur lui-même). L’observation des astres est une plongée dans le passé, explique un jeune astronome chilien. « Les télescopes sont la porte du cosmos, et les étoiles nous observent », ajoute Guzman.
Cette double dimension transmise par les télescopes chiliens, l’observation de l’espace et donc du temps, trouve un écho dans le désert d’Atacama, le plus aride du monde. Ici, il ne pleut quasiment jamais, et l’air d’altitude (3000 mètres) est si pur que la nuit le ciel est littéralement criblé d’étoiles. Mais ce désert recèle une histoire, ou plutôt des histoires : celles des indiens qui ont gravé dans la roche des silhouettes d’avant la conquête espagnole, celle des mineurs quasi esclaves du XIXème siècle et celle des milliers d’opposants à la dictature de Pinochet entre 1973 et 1990.
C’est en effet là, à quelques kilomètres des télescopes géants, dans les baraquements mêmes des mineurs que furent enfermés les militants de gauche, et c’est là que les corps de ceux qui furent assassinés ont été ensevelis dans des fosses communes. La caméra de Guzman s’attarde sur des cadavres conservés par l’air sec du désert, et un fondu enchaîné stupéfiant part de la courbe de la lune pour dévoiler progressivement un crâne humain.
Dans l’Atacama, il y a ainsi deux sortes de chercheurs : ceux qui observent le ciel et tentent de comprendre les mystères de l’univers, et celles qui scrutent le sol, les femmes et les filles des disparus, espérant retrouver quelques restes de leurs proches pour enfin faire le deuil. Ces femmes, superbes de dignité et de courage, vivent à la recherche de leur passé. Une jeune astronome, dont les parents ont été exécutés par la police de Pinochet, serre son bébé dans ses bras, comme si la vie était au fond plus forte que tout.
Ce parallèle fulgurant pourrait sembler improbable, mais il n’en est rien. Tout d’abord parce que, l’explique Guzman, le sol du désert d’Atacama est sans doute ce qui ressemble le plus sur Terre au sol martien. Ensuite, parce que dans ce que captent les émetteurs pointés vers les étoiles à la recherche du bruit émis par le big bang, il a le spectre des éléments stellaires, dont le calcium. Ce même calcium vieux comme l’univers qui entre dans la composition des os humains...