Il paraît qu’au fil du temps, Gus Van Sant renoncerait à ses coquetteries esthétisantes et se lasserait de filmer des ados. Pour le second point, Promised Land (marre de la paresse des distributeurs français qui ne se donnent même plus la peine de traduire les titres de films US) est dans les clous : ni Matt Damon, ni la craquante Rosemary DeWitt et évidemment encore moins la vétérante Frances Mc Dormand ne sont des jouvenceaux découvrant la vie. Pour le second, disons qu’il reste quelques traces des premiers films de Gus (les nuages qui défilent en accéléré dans le ciel, comme dans Elephant), mais c’est supportable.
Promised Land, donc, est un film ancré dans une réalité sordide et contemporaine : celle de la nouvelle ruée vers l’or (en l’occurrence le gaz de schiste) qui défigure et massacre les grandes plaines des Etats-Unis. Là où vivent, évidemment, des fermiers au bord de la faillite qu’il ne faut pas pousser bien loin pour vendre (cher) des permis d’exploitation du sous-sol à des compagnies pétrolières et gazières. Car aux Etats-Unis, contrairement à la France, le sous-sol n’appartient pas à l’Etat. Ce qui ouvre grand la porte à tous les marchandages possibles et imaginables.
Steve Butler, le personnage joué par Matt Damon (auteur du scénario) est justement très doué pour emporter l’accord des propriétaires terriens. Et pour cause : lui-même fils de fermier, il est convaincu d’apporter une seconde chance à des malheureux condamnés à la ruine. Il croit à ce qu’il fait, sans se poser de questions sur les ravages de la fracturation hydraulique. Les écolos sont des doctrinaires, des illuminés et par-dessus tout des menteurs, c’est bien connu.
Et pourtant, ce n’est pas à un écolo mais à un vieil homme, qui se prétend prof, que Butler va d’abord se heurter. Sous des dehors rustiques, l’homme est un ingénieur retraité de haut niveau parfaitement renseigné, et suffisamment éloquent pour retourner l’assemblée des villageois réunis dans un gymnase, maire (acheté) compris. Et quand débarque un jeune militant à casquette qui a tout compris à la communication de proximité, Butler commence à se dire que la partie va être rude. Il n’imagine pas à quel point.
Plus le film avance, plus les certitudes du représentant gazier vacillent. L’opposition frontale qui grandit chez les villageois, l’agressivité qu’il perçoit au pub ou dans les boutiques, le travail de sape redoutable d’efficacité de ses adversaires jeunes et vieux le bousculent en profondeur. Jusqu’à un retournement de scénario qu’on ne dévoilera pas ici mais qui est remarquablement amené. On retiendra juste une scène où Steve goûte une citronnade maison vendue par une fillette : emballé par la boisson, il offre un dollar et s’en va, avant que la fillette ne l’appelle pour lui rendre sa monnaie. « C’est 25 cents, le prix, monsieur. C’est ce qu’il faut payer ». Les choses ont une valeur.
D’une facture très classique (filmé au plus près des personnages, fidèle aux ambiances et aux changements d’humeur), le film de Van Sant prend par moments littéralement de la hauteur avec des plans tournés à une cinquantaine de mètres d’altitude où l’on suit à la verticale des voitures circulant dans ce qui ressemble à des paysages préservés. Avec une menace latente, celle d’un sous-sol chamboulé et attaqué par les produits chimiques qui feront de cette terre promise un horizon dévasté.