Il a les yeux rougis par l’émotion, Pierre Béziers. Il est 16h45, le soleil d’hiver a glissé derrière les maisons du cours et la température rafraîchit brusquement. Des vieux mineurs viennent lui serrer la main. Le directeur du Théâtre du Maquis a conclu l’après-midi quelques minutes plus tôt, le poing gauche levé, sur la chanson contestataire américaine Sixteen tons. Mais c’est un peu plus tôt encore qu’il a donné ce qu’il avait de plus profond en lui dans un superbe et déchirant « Je me souviens. » « Je me souviens du fleuve de charbon qui coulait dans la taille et que tous les mineurs aiment regarder. Je me souviens des fins de poste. A la recette, on plaisantait en attendant la cage. Je me souviens d’un mineur qui croquait des gousses d’ail pour patienter. Une fois j’en ai croqué une qu’il m’a proposée. J’étais à jeun. Ça m’a fait une onde de choc dans l’estomac. »
Qu’est-ce qui fait la puissance d’un témoignage ? Assurément sa sincérité. Pierre Béziers, avant d’être homme de théâtre, a travaillé à la mine. Dix ans. Comme ingénieur d’exploitation. Autant dire qu’il descendait au fond presque tous les matins. Il sait donc de quoi il parle. « Aujourd’hui, on ressent une gravité, c’est certain. On mesure à quel point c’est important, la place de la mine. La culture minière, ça veut dire quelque chose. » En dix jours à peine, le Théâtre du Maquis a construit un spectacle, une mise en forme de textes. « J’en ai cherché de mon côté, une chanson de Nougaro (les mines de charbon) ou Sixteen tons. Mais finalement, le plus intéressant c’est les textes vivants. Pour celui que nous a envoyé François Cervantès, on lui a demandé de venir le lire lui-même. »
Cœurs et poings serrés, suivi par de nombreux médias (France 3, M6, i>télé, l’AFP, les agences Reuters, Sipa et Sygma), avait commencé par un discours de Roger Meï, dans lequel il dénonçait le fait qu’ « on jette aux orties des savoir-faire acquis au fil des siècles pour faire place nette aux trusts pétroliers qui pourrissent allègrement notre planète, et nous préparent la guerre. » Face aux arguments de non-rentabilité avancés pour la fermeture de la mine, il déclarait : « oui, nos cœurs se sont serrés mais nos poings aussi pour dire notre colère et notre détermination à refuser aujourd’hui comme hier ces arguments prétendus économiques qui permettent désormais de justifier n’importe quel crime social. » Roger Meï rappelait également que « se battre aujourd’hui ici c’est aussi revendiquer fort la dignité pour ceux qui à des milliers de kilomètres d’ici en sont privés. Ces combats, les mineurs les ont menés tout au long de leur histoire. Rappelons nous la grande grève des mineurs anglais contre madame Thatcher et de la solidarité que leur avait témoignée les mineurs de France et notamment ceux de Provence. »
Enfin, il a salué l’apport massif de main d’œuvre étrangère qui, tout au long du vingtième siècle, ont façonné la ville : « Gardanne aujourd’hui témoigne sa reconnaissance à ceux, mineurs venus des quatre coins du monde qui ont fondé ici une communauté humaine laborieuse et solidaire. En votre nom à tous, je salue ces mineurs venus d’Europe chassés par la misère ou le fascisme, mineurs venus d’Arménie, de Pologne, d’Espagne, ou venus de l’autre rive de la Méditerranée qui avec les Provençaux de souche ou les mineurs mutés des autres bassins miniers ont formé ici une communauté de travail et de solidarité. »
Sur le parvis de l’Hôtel de ville, une grande lampe de mineur vient d’être allumée. Elle est le fruit du travail de l’entreprise Grimaud. Parmi les élus présents, on remarquait Michel Vaxès (député), Suzanne Maurel (Gréasque), Patrick Malavieille (Conseil général du Gard), Roger Tassy (Trets), Robert Allione (vice-président du Conseil régional) et des représentants de l’association des communes minières de France. Dans la foule, près de la table où les habitants viennent inscrire quelques mots dans les trois livres d’or, il y a Claude Biver. C’est son arrière-grand-père, Ernest Biver, qui avait conçu la fameuse galerie de la mer si souvent évoquée. « L’essentiel a été montré aujourd’hui, constate-t-il. Il faut essayer de garder un peu d’espoir. J’espère que le charbon reprendra de la valeur dans dix ou vingt ans. Il faut garder des possibilités et surtout faire profiter d’autres sites du savoir-faire qu’il y a ici. »
L’après-midi s’achevait par un appel à manifester le 12 février pour l’emploi et le 15 février contre la guerre. Cœurs et poings serrés, oui, mais bras baissés, sûrement pas.