Cinq femmes et un fantôme

Shokuzai deux films de Kyoshi Kurozawa

, par Bruno

Adaptation grand écran d’une mini-série japonaise, Shokuzai part d’un fait divers traumatique et explore ses conséquences quinze ans plus tard sur cinq femmes, les quatre amies de la victime et la mère de celle-ci. Labyrinthique et passionnant.

<media1656|embed|right|class=shadow>Féministe comme le Miyazaki de Princesse Mononoke et explorateur des méandres de l’âme comme le Kieslowski du Décalogue : le dernier film de Kyoshi Kurozawa fait aussi penser à Dolores Claiborne, le roman de Stephen King où, derrière une mort suspecte et un interrogatoire, surgissait petit à petit un souvenir d’enfance traumatique.

Comment survivre au choc de perdre une petite fille assassinée ? Comment tenir le coup quand on a le même âge qu’elle, qu’on a vu son assassin et que ce souvenir nous hante encore, quinze ans plus tard ? Tel un miroir fissuré en plein milieu, ce traumatisme initial va transformer l’avenir des quatre copines de la petite Emili.

Aucune d’elles n’a pu ou voulu décrire l’assassin à la police. Chacune, à sa façon, va porter son fardeau sous la forme d’une relation mutilée au monde et au corps. Quant à Asako, la mère, elle devra vivre rongée par le besoin de vengeance et la nécessité de traquer les quatre fillettes devenues femmes pour leur soutirer un témoignage décisif, et dans lesquelles elle ne peut s’empêcher de voir ce qu’aurait pu devenir sa fille disparue.

<media1657|embed|right|class=shadow>Le contraste est violent entre Asako, en femme brisée ne laissant rien transparaître et dont le cœur semble s’être transformé en pierre, et les quatre femmes qui tentent de mener une vie d’adulte mais qui ne peuvent s’empêcher de voir en chaque homme une menace potentielle. Sae épouse un homme riche qui ne la touche pas et la prend pour une poupée, Maki est enseignante et prête à tuer pour protéger ses élèves, Akiko vit recluse chez ses parents et s’imagine être un ours, et Yuka fantasme sur les policiers. Toutes vont croiser le chemin d’Asako qui inmanquablement les renverra au choc initial et qui exigera réparation.

Le film est structuré en six parties, l’assassinat, la vie des quatre femmes et l’épilogue. Plus on avance dans le récit, plus les couleurs s’estompent, comme si le film était habité par des fantômes. Une lumière un peu trop vive, une bourrasque soudaine, l’image récurrente de la petite Emili, et des secrets enfouis qui remontent à la surface font de Shokuzai un film littéralement hanté.

C’est aussi un grand film féministe : chacune à sa manière, les femmes font face à une société japonaise corsetée dans les conventions, dans une politesse hypocrite et mesquine, dans un besoin d’ordre poussé jusqu’à l’absurde où les hommes sont les seigneurs et maîtres. Mais ils ont tort de sous-estimer celles qu’ils considèrent comme des choses manipulables à merci. Le retour de bâton (au propre comme au figuré) sera terrible.