Quand les sirènes retentissent, dans
l’après-midi du 6 août, nul ne mesure
encore l’ampleur de ce qui va se passer.
Mais avec ce mistral qui souffle
en rafales, l’inquiétude est de mise. La
veille, déjà, soixante hectares ont brûlé
au Sud d’Aix, dans le massif du Montaiguet.
« Le feu a été maîtrisé dans la
nuit, à 3 heures du matin, raconte le
capitaine Dy, chef de corps au centre
de secours de Gardanne. Il faut se souvenir
du contexte : personnel fatigué,
vent violent, pas de Canadairs. Le samedi,
vers 14 heures, on signale des
reprises de toutes parts et des renforts
sont demandés. Après, c’est un nouveau
feu qui n’est pas maîtrisable. Le
front fait un kilomètre de large. Les
Canadairs auraient été utiles pour attaquer
les reprises avant que le feu ne
devienne incontrôlable. »
Attisées par un vent violent soufflant
du Nord-Ouest, les flammes sautent
les crêtes et dévastent les vallons de
Roman, Rambert et les flancs du Payannet.
En fin d’après-midi le centre commercial
Champion est évacué par mesure
de sécurité. Au-dessus de Gardanne,
le ciel d’été est obscurci par un énorme
panache de fumée marron qui s’étire
en direction du Sud-Est. Il sera
visible jusqu’à Toulon.
Les 800 pompiers (en comptant des
renforts venus du Gard, du Vaucluse,
du Var et d’Île-de-France) sont appuyés
par quatre Trackers, quatre hélicoptères
bombardiers d’eau, le gros hélicoptère
Air Crane et le tout nouveau
Dash 8, dont l’anecdote retiendra que
c’est à Gardanne qu’il a combattu son
premier feu. L’objectif est de couper
la route des massifs boisés en direction de Gréasque et de Mimet. La D7
entre Gardanne et Luynes et la D6 (fermées
à la circulation) servent de point
d’appui. Mais ce n’est pas suffisant.
Les flammes sautent la voie rapide à
hauteur de Chabanu, longent le petit
chemin de Saint-Estève et grignotent
de la végétation au quartier Ribas, menaçant
la colline du Cativel qui surplombe
le centre-ville. A quelques
mètres de là, le feu entame l’extrémité
de la ZI la Palun avant d’être éteint
au pied de la centrale thermique. Sur
les 520 hectares parcourus, 268 sont
sur la commune de Gardanne qui compte
aussi vingt-sept maisons touchées,
dont cinq partiellement ou totalement
détruites. Deux exploitations ont disparu
dans les flammes, les serres de M.
Amoretti (magasin Baobab) et l’élevage
de poulets de Chantal Valence.
« Soyons clairs : je me réjouis qu’il n’y
ai pas eu de victimes chez les habitants
et chez les pompiers, affirme le capitaine
Dy. Deux camions ont brûlé et
les pompiers ont été évacués de justesse.
Il ne faut pas oublier nos priorités
: la protection des personnes, des
biens et de l’environnement, dans cet
ordre. »
Des flammes deux fois plus hautes que les pins
La maison de Mme Pelegrin, sur le
chemin de Châteauveyre, a pu être sauvée
du feu qui a sauté la crête, sur les
hauteurs de Payannet. « C’est la troisième
fois que ça brûle ici, alors vous
comprenez, on a pris nos précautions.
On a une citerne, au-dessus, qui doit
faire l’équivalent d’une trentaine de
camions de pompiers. » La bâtisse et
les abords sont intacts, mais tout le reste
du terrain est calciné. Ce qui est dur
à digérer, ce sont les curieux, sans la
moindre gêne. « Hier, j’en ai vu un qui
est entré par le portail. Il s’est installé
sur la terrasse et il filmait. Des souvenirs
de vacances, sans doute. »
Gilbert Cortès habite au chemin de
Chabanu. « Cette maison, je l’ai faite
construire il y a trente ans. Ma femme
est partie avec la voiture,
je suis resté pour voir ce
que je pouvais faire, mais
que voulez-vous, quand les
flammes ont fait le double
de la hauteur des pins, je
n’ai pas pu tenir, je suis
parti en abandonnant la
maison. Les volets ont brûlé,
mais le feu a été arrêté
par le double vitrage. Dehors,
36 oliviers ont brûlé,
des abricotiers, des amandiers,
un noyer, un saule.
Les pompiers ? Ils ne pouvaient
pas être partout... »
Dans le vallon Roman, Paul
Tomatis a perdu sa maison.
Il a refusé d’être évacué par
les gendarmes et était là
quand le feu a tout détruit.
« Il est entré par la véranda,
ça a fait éclater le double
vitrage et ça a tout
dévasté. Rien que le bruit
vous paralysait, c’était comme
dix TGV. » Du salon, de
la chambre, de la salle de
bains, il ne reste plus qu’un
amas de gravas et de bois calcinés, une
carcasse de machine à écrire, quelques
livres roussis. « Il a fallu onze ans de
travail pour réhabiliter cette maison,
la maison de mon père quand il est arrivé
d’Italie en 1923. J’avais une cheminée du 17e siècle en pierre de Fontvieille,
regardez ce qu’il en reste. » Paul
Tomatis parle, parle encore. La nuit, il
ne dort pas. Il écrit des dizaines de pages.
« Je recherche des photos de ce
que j’avais, je demande à des amis. Je
m’en fous de la valeur, ce que je voudrais
c’est retrouver ce que j’avais... »
Mobilisation générale pour soutenir les sinistrés
Dès le samedi, sous la responsabilité
du maire Roger Meï (qui devra même
être hospitalisé dans la nuit pour une
semaine suite aux émanations de fumée),
d’Yveline Primo 1ère adjointe et
de Jeannot Menfi, adjoint, le dispositif
d’urgence est mis en place au gymnase
de Fontvenelle, prêt à accueillir
les familles évacuées. Des centaines
de repas sont servis par la cuisine centrale
toute proche, notamment aux pompiers
qui ont établi leur quartier général
au centre de secours. Les élus, les
services techniques, la police municipale,
le CCAS, les services financiers,
environnement, communication et habitat
se mobilisent pour venir en aide
aux victimes dans le cadre d’une cellule
de crise qui fait un point quotidien.
Dès le lundi, Yveline Primo,
Jeannot Menfi et Max Pierrazzi se rendent
au domicile de chaque sinistré.
Les personnes âgées isolées sont visitées
par le personnel du CCAS, la maison
de retraite accueillant l’une d’elles.
En attendant le rétablissement de la
télétransmission (qui dépend du réseau
téléphonique), les aides-ménagères assurent
le relais avec leurs visites quotidiennes.
Les conteneurs poubelle
collectifs détruits par le feu sont remplacés
dès le lundi matin, et quatre bennes
de 15 mètres cubes sont installées
pour évacuer les principaux déchets.
Des tournées spéciales de ramassage
de déchets végétaux sont organisées
pendant plusieurs semaines pour faire
face à la demande. Enfin, les quartiers
Roman, Rambert, Payannet, Chabanu,
Milhaud sont interdits à la circulation
pendant quinze jours, afin d’éviter le
ballet de curieux et aussi les vols. Le
CCAS centralise pour sa part les propositions
d’aides matérielles et financières
(elles seront nombreuses) et les
appels de ceux qui ne parviennent pas
à joindre leur famille ou leurs proches.
La Ville fait appel à un cabinet d’expertise
et propose pendant dix jours
une permanence d’aide juridique aux
sinistrés. Une
assistance psychologique est également
mise en place avec l’APERS, une
association d’aide aux victimes qui
intervient le reste de l’année à la Maison
du droit.
Le vendredi 12, le comité d’intérêt de quartier Gardanne Ouest réunit les habitants à l’écomusée. Près de 150 d’entre eux sont venus. « Il s’est passé des choses fortes, souligne le président Daniel Imbert. C’est le moment où se manifestent des solidarités et du dévouement. Mais il faut proposer des mesures pour éviter que de tels drames se reproduisent. » Pierre Ferrarini, pompier à la retraite, raconte qu’il a tenté de sauver la maison de Paul Tomatis avec son matériel de pompage installé près d’une piscine voisine. « Mais les gendarmes nous ont demandé de partir. Il a fallu tout remballer. » Parmi les riverains, certains s’étonnent que les bornes agricoles disposées dans le quartier n’aient pas été utilisées par les pompiers, qui se sont ravitaillés à la borne de l’écomusée. Une nouvelle piste DFCI, ouverte en juin dernier, n’était apparemment pas connue des sauveteurs. « Il faut vraiment améliorer la coordination, » a souligné Daniel Imbert.
Les pompiers ont évité le pire
Le capitaine Dy s’agace des critiques adressées à l’organisation des secours et explique les difficultés qu’il y a à traiter un tel sinistre en contentant tout le monde. « Il est évident qu’on doit tenir compte de ce qui s’est passé. Il y a toujours un débriefing, dans ce cas il est fait au niveau départemental. Par exemple, nous avons fait des remarques sur le débroussaillement car même si des efforts importants ont été réalisés en matière de débroussaillement au sol, il ne faut pas négliger le débroussaillement vertical, l’élagage. Et compte- tenu du mitage dans les massifs boisés et de la sécheresse répétée, il est certain que des incendies de ce genre se reproduiront. Mais arrêtons de casser du sucre sur le dos des 800 pompiers présents ! Les sapeurs - ceux de Gardanne notamment - ont tout donné sur ce feu, ils ont été mobilisés pendant dix jours et ils ont fait preuve de beaucoup de professionnalisme. »
Déjà, le 31 juillet, le pire avait été évité.
8,6 hectares ont été ravagés par les
flammes, et plusieurs centaines
d’hectares ont été menacés dans le quartier
de la Malespine. Une cinquantaine
de véhicules, deux cents sapeurs
pompiers issus de toute la région et
quatre Canadairs ont été engagés. Comme
l’explique le capitaine Dy, « l’obstacle
naturel de la carrière et de la
déchetterie nous a beaucoup aidé. Une
habitation a été détruite. D’autres personnes
ont été confinées dans leur logement
et ont su garder leur calme. »
L’incendie, probablement d’origine criminelle
se serait propagé plus vite encore
si le débroussaillement imposé
par la loi n’avait pas été respecté. Le
couple de retraités qui a perdu sa maison
a été relogé provisoirement par la
ville dans un appartement à l’avenue
de la Libération.
L’Écomusée a aussi été touché dans la
nuit du 4 au 5 août et 4 hectares ont
été détruits. Le parcours de découverte,
fermé au mois d’août, vient de réouvrir
en intégrant les parties brûlées.
Elles serviront à montrer les conséquences
de l’incendie et la manière
dont un sol calciné peut être réhabilité.
Directeur de l’Écomusée, Luc Langeron
souligne que pour la réhabilitation,
« on a vocation à être exemplaire. Il
faut garder la mémoire de ce qui s’est
passé. Il faut aussi tenir compte de ce
qui marche et de ce qui ne marche pas.
On critique beaucoup le pin d’Alep,
mais ce n’est pas le pin qui est en cause,
c’est ceux qui mettent le feu. » Présent
le 12 août devant les riverains aux
côtés de Bernard Bastide (adjoint à
l’environnement) et de Max Pierazzi,
Philippe Pintore élu délégué au développement
économique a rappelé que
« la Ville a la volonté de maintenir les
zones naturelles et agricoles dans le
cadre du Plan local d’urbanisme en
cours d’élaboration. »
La municipalité va préparer dès ce mois-ci un plan de réhabilitation des sites incendiés, en partenariat avec les habitants, les associations et les organismes forestiers. Nous reviendrons en détail sur cette initiative dans un prochain numéro.