Un rêve, dans un rêve, dans un rêve... Et quand on émerge de tout ça, dans quel niveau de réalité se trouve-t-on ? Dans le contexte du film ? Dans celui de la salle de cinéma, sorte de sas isolant entre la vraie vie et le septième art ? Dans la ville où se trouve la salle de cinéma, dans le pays où se trouve cette ville, dans cette minuscule strate temporelle qu’est l’année 2010 à l’échelle de l’humanité ?
C’est l’impression qu’engendre sur le spectateur lambda peu habitué à la réalité virtuelle le dernier film de Christopher Nolan, Inception. Une impression confuse et frustrante où se mêlent la conviction d’avoir vu quelque chose de radicalement original et dérangeant (beaucoup plus, par exemple, qu’Avatar) et le regret que le réalisateur et ses scénaristes aient un peu sacrifié l’idée de départ à un scénario un peu trop formaté.
Car si Inception va très loin dans l’art de la confusion psychique — à l’instar des meilleures nouvelles de Philip K. Dick — et dans l’image truquée (les effets visuels de la première partie sont saisissants et parfois magnifiques), il déçoit avec une intrigue digne d’un blockbuster de bas étage, avec fils à papa directeur de multinationale à l’agonie (bonjour en passant à Liliane Bettencourt), héritage dans un coffre à code, classe super-affaire en avion transatlantique et mitraillages et explosions en tout genre.
Dommage, car l’idée du piratage des rêves, de l’intrusion dans le subconscient d’autrui, cette dernière citadelle actuellement imprenable, cette idée était riche de potentialité. Inception nous donne à voir ce qu’un très grand réalisateur aurait pu en faire, en donnnant plus de corps à cette hypothèse à la fois mortifère et séduisante : et si ce qu’on prend pour la réalité n’était en fait qu’un songe ?
Malgré ses défauts [1], Inception est une belle métaphore du cinéma, cette illusion de la réalité qui a pour prétention, pendant deux heures, de nous propulser via un siège éjectable dans les rêves d’un autre. Dans le meilleur des cas, ces rêves sont contagieux et finissent par nous habiter, si tant est que des scènes de films peuvent nous marquer plus profondément que des moments de notre propre vie.