Comment choisissez-vous vos invités ? En fonction de l’actualité littéraire ou d’auteurs que vous avez envie de rencontrer ?
Les deux, mon général. Enfin mon Capitaine : c’est le surnom que je donne à Daniel Schneidermann, qui produit l’émission, et à vrai dire, jusqu’à présent, c’est lui qui choisit nos invités, soit par rapport à l’actu, soit par rapport à nos goûts littéraires. Je dis « nos » goûts, parce qu’il se trouve qu’on a une sensibilité assez proche et qu’on se comprend très bien ; et j’ai d’autant plus de facilité à me laisser guider par ses choix que je me sens encore un peu débutante comme présentatrice - ça me sécurise de le savoir à la barre, et décidant du cap. Pour le cap, il ne s’agit pas forcément d’inviter des gens qu’on adore ; il s’agit d’inviter des auteurs qui soutiennent un texte fort, qui peut faire matière à exploration et à discussion.
Qu’apporte l’image dans une émission littéraire comme la vôtre où l’ancrage dans le texte est si important ? L’image est-elle là (entre autres) pour illustrer les silences, pour donner à voir ce qui n’est pas dit ?
Excellente et difficile question... Ce qui me vient, tout de suite, c’est une analogie : je n’aime pas parler au téléphone. Je suis un peu sourde, et surtout très vite perdue quand je n’ai pas ce qu’on appelle le « non verbal » de la communication - postures, expressions, gestuelle. J’aime regarder les gens que j’écoute ; c’est comme ça que j’entre vraiment dans leur parole, dans le corps de cette parole, qui dit autant, souvent plus, et parfois le contraire, de leurs mots.
Concrètement, ça donne : les larmes dans les yeux d’Agnès Desarthe, quand elle dit dans un gloussement mi-rire mi-sanglot qu’on n’était pas censé lire tel passage, qui la bouleverse. Le sourire vaguement subjugué de Claude Lanzmann, me regardant incrédule (et conquis ?) lui faire un procès en narcissisme. La mimique faussement pathétique, sincèrement amusée, mais émue pourtant, de Régis Debray confessant qu’il n’a plus qu’à fondre en larmes, parce qu’il n’aime pas son écriture.
Pour chaque émission, j’en ai ainsi tout un chapelet, de ces moments de grâce où la personne parle tout entière. Peut-être faut-il préciser que je viens du théâtre : c’est ma vocation première, comme comédienne, comme metteur en scène, je le pratique toujours, et c’est pour moi l’art maître, puisque c’est l’exact lieu où la lettre rencontre la chair.