LE DÉMON SORTI DES SABLES IRAKIENS
Qu’est-ce qui fait la qualité d’un vrai film d’épouvante ? Ce qu’il ne montre pas, évidemment. Mais aussi ce qu’il donne à entendre [1]. Les craquements dans le grenier, la voix de la petite Regan qui devient de plus en plus rauque, les sifflements, grincements, grognements qui prennent la place de la respiration sont au final beaucoup plus impressionnants que le visage hideux, les hallucinations des prêtres ou les scènes de grand guignol à base de sang et de crucifix. Trente-deux ans après, l’Exorciste fait encore mal.
Dès le prologue, dans le désert du nord de l’Irak, dans un site archéologique placé hors du temps, la menace est omniprésente. Rétrospectivement, ce prêtre archéologue américain plongé en milieu hostile à quelques centaines de kilomètres de Bagdad peut faire sourire. Mais on rit jaune quand, des sables mésopotamiens, il exhume la figurine du démon Pazuzu et par là-même libère involontairement des forces destructrices. Comme celles qui ont sacrifié des centaines de milliers d’enfants pendant l’embargo onusien, ou écrasé les populations civiles sous un tapis de bombes.
Le choix d’une préadolescente comme victime de la possession satanique n’est évidemment pas innocent. Serait-il encore possible, dans l’Amérique puritaine des sectes protestantes, de faire proférer à une fille prépubère de telles obscénités, insultant dans le même mouvement les valeurs profondes de la famille et de la religion ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Rappelons au passage que le film est sorti aux Etats-Unis le 26 décembre 1973, en pleine affaire du Watergate et pendant les derniers soubresauts de la guerre du Vietnam.
Bien sûr, on peut trouver lourdes les scènes d’exorcisme arrosées d’eau bénite et de lecture des textes bibliques. Mais la délivrance (temporaire ?) de la petite Regan se fera au prix du sacrifice des deux hommes d’église, en une victoire singulièrement coûteuse pour l’institution catholique. Et elles sont largement compensées par d’autres scènes insoutenables de violence froide et institutionnalisée, celles où Regan est soumise à d’horribles ponctions lors d’examens cliniques parfaitement inutiles.
Et puis il y a toutes ces histoires autour du film [2], le cas authentique de possession dont aurait été témoin le scénariste William Blatty, ces coups de feu que tiraient William Friedkin pendant le tournage histoire de maintenir les acteurs sous tension, des spectateurs qui se seraient évanouis pendant les projections, des femmes enceintes qui auraient fait des fausses couches, tout un folklore, une mythologie qui sont venus enluminer la légende. Mais l’Exorciste, au fond n’a pas besoin de ça. C’est un grand film, tout simplement.