La vérité nue

, par Bruno

Description au scalpel du milieu du spectacle des années cinquante, le dernier film d’Atom Egoyan est surtout l’occasion de retrouver sa mise en scène raffinée et caressante, bien servie par un remarquable Kevin Bacon et un scénario millimétré adapté du roman de Rupert Holmes. Malgré quelques insuffisances, c’est donc un retour réussi d’un des cinéastes les plus prometteurs des années 90.

QUAND LES IMAGES MENTENT

Miami, 1957. Sur le plateau d’un téléthon consacré à la lutte contra la polio, Lanny Morris, star du show biz, écoute accroupi le récit d’une fillette qui a vaincu la maladie. Le visage de l’homme est ravagé de larmes. Quand elle a fini, il s’approche d’elle et lui murmure quelque chose que personne n’entend.

Une scène banale, le grand cirque médiatique, les paillettes et le pathos. Mais le titre original du film, c’est « Where the truth lies », « Où la vérité ment ». Et c’est bien de ça qu’il s’agit. Pourquoi cet homme est-il en larmes ? Que dit-il à cette fillette ? Quand on le saura, à la toute fin du film, le voile de l’illusion se déchirera, la vérité nue (titre en français) apparaîtra enfin. Peut-être...

Ce qui frappe tout d’abord, c’est de constater à quel point le milieu des années cinquante et le début des années soixante-dix se ressemblent, vue de notre époque. Il est vrai qu’entre aujourd’hui et 1972 (où se déroule l’enquête d’une journaliste sur le passé de Larry Morris et de de Vince Collins), il s’est écoulé deux fois plus d’années que de cette date à 1957. Et pourtant, les années 60 auront vu se fracasser le rêve américain, de Dallas au Vietnam. En 1972, le coup de grâce du Watergate est imminent. Illusions, là aussi.

Plus qu’un réalisateur, Atom Egoyan est avant tout un illusionniste. Un prestidigitateur qui nous montre ce qu’il veut et nous cache le reste. Ne croyez pas ce que vous voyez, nous dit-il depuis au moins Family viewing. Derrière la façade clinquante du show biz, il y a la mafia, la drogue, les filles que l’on chasse en prédateur, le luxe aussi écœurant qu’une caisse entière de homards vivants cliquetant des pinces sur un lit de glace pilée. Mais par-dessus tout, il y a ce besoin d’argent, ces ragots qui s’échangent pour un million de dollars et qui brisent des carrières. Ou des vies.

Par moments, dans la Vérité nue, on retrouve la caméra fluide et caressante d’Exotica, cette façon unique de suivre les courbes d’un corps comme le relief d’un paysage, ces cadres serrés sur des visages qui se troublent ou se décomposent.

Déjà remarquable dans Mystic River, Kevin Bacon éclipse complètement un Colin Firth transparent, alors que la toute jeune Alison Lohman semble un peu juste pour le rôle de la journaliste Karen O’Connor, qui enquête sur la mort suspecte d’une amante des deux comparses. On aurait aimé voir ce que Sarah Polley (De beaux lendemains) aurait fait du personnage de Karen.

Malgré ces réserves, La vérité nue ne déçoit pas, ni dans le scénario millimétré adapté du roman de Rupert Holmes, ni dans une mise en scène d’une rare élégance. Et on se prend à rêver de ce que donnerait une adaptation du Leviathan, de Paul Auster...

P.-S.

Un film d’Atom Egoyan (1h50). Avec Kevin Bacon, Colin Firth et Alison Lohman.