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Millénium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes

Oubliez l’adaptation suédoise : David Fincher a gagné son pari de faire de Millénium un grand film de cinéma. Avec deux atouts dans sa manche : une bande son imparable et une Lisbeth sublimée par Rooney Mara.

Comme un souffle dans la nuit

Qu’est-ce qui fait qu’une adaptation cinéma d’un roman fonctionne ? Sa fidélité au texte ? Ou au contraire sa manière de le transgresser, d’en faire autre chose, de raconter la même histoire d’une autre façon ? Il est rare que le résultat sur grand écran soit vraiment convaincant, mais ça arrive : Stanley Kubrick avec Shining ou Atom Egoyan avec De beaux lendemains avaient par exemple réussi à transcender la matière première des livres de Stephen King et de Russell Banks.

S’attaquer à Millénium, la trilogie du suédois Stieg Larsson sortie en 2005 et devenue depuis un best-seller mondial, ça ne faisait pas peur à David Fincher. Il est vrai que l’auteur de Seven, Zodiac ou The social network ne venait pas les mains vides, et partait avec des moyens autrement plus importants que Niels Arden Oplev ou Daniel Alfredson, auteurs en 2009 d’une première adaptation suédoise déclinée en mini-série télé.

Le casting tout d’abord : des seconds rôles chevronnés (Christopher Plummer, Robin Wright), Daniel Craig pour incarner Mikael Blomqvist et surtout Rooney Mara en Lisbeth Salander. Dans la première version, Noomi Rapace était déjà très convaincante dans le rôle, et pour cause : le personnage de Lisbeth Salander, punkette asociale, animée d’une détermination féroce et dotée d’une intelligence très au-dessus de la moyenne, c’est la trouvaille-clé de Stieg Larsson. Mais Rooney Mara va encore plus loin, laissant entrevoir la fragilité de Lisbeth sous une carapace noire apparemment infranchissable.

Le choix de la bande-son ensuite : confiée au duo Trent Reznor et Atticus Ross, elle donne au film une texture oppressante, renforcée d’entrée par un générique ultra-sophisitiqué signé Tim Miller, rythmé par Immigrant Song de Led Zeppelin : des images hypnotiques fondues au noir et comme engluées dans un liquide poisseux.

Pendant tout le film, le son joue un rôle essentiel, de liaison entre les scènes (le montage alterné Lisbeth-Mikael respecte d’ailleurs la structure du roman) mais aussi de marqueur plus ou moins conscient de la proximité du danger : une baie vitrée entrouverte dans une maison vide et éclairée la nuit laisse ainsi entendre le vent qui souffle à l’extérieur, comme une menace qui approche.

Bien sûr, la matière du roman est si dense que Fincher a dû tailler dans l’histoire (le film dure tout de même 158 minutes), mais les passages supprimés (ou modifiés) ne nuisent pas à l’intrigue. On regrettera seulement que la rédaction de Millénium, si importante dans le roman (Stieg Larsson était lui-même journaliste d’investigation et avait fondé le magazine Expo), ne soit qu’entrevue dans le film. Que ce dernier fasse l’impasse sur les multiples (et pas toujours vraisemblables) conquêtes amoureuses de Blomqvist est en revanche plutôt une bonne chose.

Très bonne adaptation donc, dont on peut espérer qu’elle amènera de nouveaux lecteurs à la trilogie : si vous avez aimé le film, vous apprécierez certainement les romans qui développent bien plus les relations entre les personnages, l’arrière-plan politique et les difficultés de la presse indépendante lorsqu’elle s’attaque à des empires financiers.