Donner à voir le quotidien de l’Elysée, excroissance boursouflée et ridicule au sommet de l’Etat, c’est presque un exercice de style. Un peu comme un réalisateur de cinéma voulant faire une fiction qui se passe dans un trou noir. Comment montrer le vide ? Comment donner à voir le néant sidéral d’un pouvoir dont la finalité est de se maintenir en place coûte que coûte, quitte à renier un par un les quelques principes qui ont permis d’y accéder ? Dans Un temps de président (diffusé fin septembre sur France 3), Yves Jeuland parvient parfois à mettre en lumière les lignes de failles qui traversent les dorures kitsch d’un palais fantôme.
Surfer sur la vague compassionnelle
Une émission radio pour une fois — ô miracle — rentre-dedans à la matinale de France Inter le 5 janvier 2015, deux jours avant les attentats de Charlie Hebdo. Jeuland montre le désarroi de Hollande qui ne sait plus comment répondre à ceux qui pointent devant lui les incohérences (le mot est faible) de sa politique. Puis bien sûr arrive le drame du 7 janvier et une occasion en or de rassembler le pays dans une vague compassionnelle et de récupérer la grande mobilisation citoyenne du 11 janvier en invitant tout ce que la planète compte de philanthropes (mention spéciale à Nethanyaou).
Dans le film de Jeuland, on voit aussi à l’œuvre les mécanismes d’horlogerie du remaniement ministériel de la fin août 2014, au moment du débarquement du trio Montebourg-Hamon-Filipetti. La scène où Jean-Pierre Jouyet (secrétaire général de l’Elysée, passé sans vergogne de Jospin à Sarkozy puis Hollande) quémande au téléphone un poste de directeur de cabinet à Emmanuel Macron, fraîchement nommé ministre, est terrible. Jouyet fayote, minaude, flatte, et quand visiblement il se fait rembarrer, il grimace de dépit et parle de sens républicain là où il ne s’agit que de placer un fidèle.
Gaspard Gantzer, du pain dur pour les canards
Un temps de président met aussi en évidence le dénommé Gaspard Gantzer, 35 ans, remplaçant du cireur de chaussures Aquilino Morelle en tant que chef du pôle communication à l’Elysée. N’attendez pas le moindre état d’âme chez ce personnage, vous perdez votre temps. Gantzer est là pour servir, pour mesurer l’épaisseur des coussins empilés sur le fauteuil de Hollande le soir des vœux et faire déplacer le bureau pour éviter les reflets gênants. C’est aussi lui qui alimente les journalistes accrédités à l’Elysée en déclarations attribués à des proches de la présidence, comme on jetterait du pain dur aux canards.
Il est partout, à côté de Hollande lors d’une interview donnée au Monde ou pour le défilé du 11 janvier après les attentats. On ne se fait aucun souci pour lui : même si son maître n’est pas réélu, petit Gaspard trouvera toujours moyen de se recaser. Son geste de victoire poing serré à l’annonce de la nomination de Macron à Bercy parle pour lui : son copain de promo à l’ENA sera le cheval sur lequel il pariera demain.
Servir la soupe au comte
Autre moment d’un ridicule achevé, la préparation intense (qui mobilise deux secrétaires et Jean-Pierre Jouyet) d’une affaire de la plus extrême importance : le discours de remise de la Légion d’honneur à l’un des écrivains mondains les plus réactionnaires du pays, Jean d’Ormesson. Chaque mot est soupesé, décortiqué (jubilatoire ou pas jubilatoire ?), millimétré comme s’il s’agissait là du code nucléaire, alors qu’il ne s’agit que de flatter bassement l’égo démesuré d’un vieux beau qui porte en sautoir son titre de comte.
Le film de Jeuland est finalement fidèle à l’essence du quinquennat Hollande, un vide sidéral dans lequel s’engouffrent les puissants pour défendre leurs intérêts. Et tant pis pour ceux qui ont cru, pendant quelques semaines au printemps 2012, que la gauche était de retour.