Il n’était pas navajo, mais qu’est-ce qu’il l’a aimé, ce peuple. Tony Hillerman est mort à 83 ans mais son œuvre, magnifique et vibrante, lui survivra, emblématique d’un genre baptisé polar ethnique. Personne mieux que lui n’aura décrit la splendeur des paysages du Nouveau-Mexique, de l’Arizona et des Four Corners, les terres sauvages et ingrates de la grande réserve navajo. Ses descriptions des nuages d’orage au-dessus des montagnes sacrées aux noms extraordinaires, de Shiprock, le vaisseau de pierre, de Window Rock, des comptoirs d’échanges ou du canyon de Chelly, des trembles aux feuilles dorées au bord des rivières ou des herbes-aux-serpents, sont sans pareille.
D’une précision de botaniste, Hillerman était tout aussi fin observateurs des humains, que ça soit du côté du Dineeh, le peuple navajo, que des belagaana, les hommes blancs. Ses connaissances de la culture navajo et hopi, de leurs croyances profondes, de leurs mythes, de leur vision du monde, en a certainement bluffé plus d’un. Blanc né en Oklahoma, combattant de la deuxième guerre mondiale, journaliste, il a su sentir les choses comme les Navajos et nous offrir une vue de l’intérieur aussi riche que distanciée.
Sa grande trouvaille aura été de créer deux personnages à contre-emploi : un vieux policier coupé des traditions, méthodique et patient, et un jeune flic fougueux, imprudent et dont le rêve, outre épouser une femme blanche, est de devenir chanteur de cérémonie. Leur point en commun, c’est une interprétation toute personnelle de la loi, qui les pousse régulièrement à fermer les yeux sur des crimes dont la condamnation du coupable ne rétablirait en rien l’harmonie dans la communauté.
De lui, on se souviendra de l’immense Là où dansent les morts, mais aussi des Voleurs de temps, de Femme qui écoute, de Dieu qui parle ou encore des Clowns sacrés. Si vous ne les connaissez pas, plongez-vous dans ses romans (tous disponibles en poche aux éditions Rivages), puis dans son autobiographie, Rares furent les déceptions. Et si vous les connaissez, relisez-les, c’est un plaisir toujours renouvelé.