Drôle d’idée de que de faire le bilan d’une année. Non que ce soit original, le mois de décembre, et particulièrement ses derniers jours, sont propices à toutes sortes de rétrospectives. Il m’est d’ailleurs arrivé plus d’une fois d’en commettre, notamment sur l’équipe de France de foot (voir sur Chroniques bleues). Mais un bilan sur une année en général (films, romans, BD), je n’avais jamais tenté ça. Allons-y, alors.
Quoi de neuf, en 2010 ? Commençons par le cinéma. Cette année, de la vingtaine de films que j’ai vus en salle, j’en sortirai trois. Gainsbourg (vie héroïque) de Johann Sfar, pour son culot, son infidélité au genre biographique, la finesse du regard d’un artiste (dessinateur et scénariste de BD) vivant âgé de 39 ans sur un autre artiste (peintre, chanteur et réalisateur) mort il y a 29 ans. Je ne l’ai pas encore revu, mais je le ferai avec grand plaisir, et la certitude d’y découvrir des choses nouvelles.
J’ai beaucoup aimé également, dans un tout autre genre, Cleveland contre Wall Street du documentariste suisse Jean-Stéphane Bron. Cette reconstitution minutieuse d’un procès qui n’a pas eu lieu, celui des habitants de Cleveland spoliés par les banques américaines lors de la crise des subprimes, est littéralement un film de guerre. Celle des classes, bien sûr, avec ses protagonistes (habitants ruinés, avocats combatifs, traders repentis, conseillers ultralibéraux) cadrés serrés comme dans les grands films de procès.
Le meilleur film de l’année selon moi, c’est Nostalgie de la lumière, du Chilien Patricio Guzman. Une œuvre contemplative et profonde graphiquement splendide, où la voie lactée est filmée avec autant de respect que des billes multicolores sur un plancher de bois, et où les engrenages d’un vieux télescope allemand répond au tintement de cuillères en étain que le vent agite. L’observation du cosmos depuis le désert d’Atacama, le plus sec du monde, se retrouve enchevêtrée avec la quête impossible et nécessaire de femmes cherchant les ossements de leurs proches, dispersées par la dictature de Pinochet.
J’aurais pu aussi dire quelques mots de autres très bons documentaires, Ce n’est qu’un début et Entre nos mains, ou de films plus décevants comme Inception, Shutter Island ou Robin des bois. Je vous renvoie plutôt aux articles correspondants.
Et les livres ? Mon année 2010 aura été marquée par deux très grands auteurs, Victor Serge et Victor Hugo. Du premier, j’ai lu l’extraordinaire Affaire Toulaev, roman qui raconte de l’intérieur les grandes purges staliniennes de la période 1936-1938, et Retour à l’ouest, un recueil d’une centaine d’articles écrits entre 1936 et 1940, où Serge se hisse au niveau des plus grands comme Orwell notamment. Du second, j’ai découvert le très moderne Histoire d’un crime, où l’on peut facilement transposer à notre époque actuelle le récit féroce et rageur du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. Et, par ricochets, la monumentale biographie que lui a consacré Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo, avant l’exil. Rien que le premier tome m’a pris deux bons mois de lecture, mais quel plaisir !
Parmi les fictions, j’ai beaucoup aimé Et que le vaste monde poursuive sa course folle de Colum McCann, Infrarouge de Nancy Huston et Chronique des jours à venir de Ronald Wright. Et aussi deux coups de cœur pour des BD hors catégories : la première est un reportage graphique de Joe Sacco, Gaza 1956, en marge de l’histoire, la seconde est l’histoire toute simple (mais avec un scénario millimétré) d’une femme qui s’est sauvée à tous les sens du terme : Lulu femme nue d’Etienne Davodeau. Magnifique.
A noter enfin trois livres intéressants sur la deuxième guerre mondiale : Choix fatidiques d’Antony Beevor, Jean Moulin de Jacques Baynac et Les jours heureux, ouvrage collectif dirigé par Jean-Luc Porquet, qui part du programme du Conseil national de la Résistance et montre comment celui-ci est actuellement mis en pièces.