À LA LUMIÈRE DES ÉTOILES MORTES
La vie de Roberto Bolaño est à elle seule un roman : né au Chili en 1953, il part au Mexique en 1968, l’année des jeux olympiques et de la révolte étudiante, puis il revient à Santiago au moment du coup d’Etat de Pinochet, est emprisonné, repart au Mexique, s’installe en Espagne à la fin des années 70 où il fait de nombreux petits métiers jusqu’à ce que son œuvre soit enfin reconnue, à la fin des années 90. Il apparait même comme personnage de roman [1].
Les 1012 pages serrées de 2666 intimident au premier abord. Car si on aime les pavés, c’est en espérant que le texte sera si bon qu’on ne voudra pas le lâcher avant un bon moment. Contruit comme des fractales, le roman abrite une multitude d’histoires emboîtées, chaque personnage y allant de son anecdote, anecdote qui devient digression sans jamais nous éloigner très loin du cœur du livre : la ville maudite de Santa Teresa, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Santa Teresa n’existe pas, du moins pas sous ce nom, mais c’est la copie fidèle de Ciudad Juarez, ville maudite, tentaculaire et corrompue, plate-forme du trafic de drogue et truffée de maquiladoras, ces entreprises à la main d’œuvre sous payée qui travaillent pour l’exportation. 55 millions de personnes y passent chaque année pour franchir dans les deux sens la frontière avec le Texas et la ville d’El Paso, côté étatsunien. Bref, le premier cercle de l’enfer au temps de la mondialisation.
Surtout, Ciudad Juarez est le cadre, depuis 1993, d’une véritable boucherie. Des centaines de femmes y ont été assassinées [2], plus de 400, porbablement un millier si on tient compte des 500 disparues. Il y a eu des arrestations, des suspects emprisonnés, des promesses faites par les politiques mexicains de mettre un terme à cette affaire. Mais que pèsent quelques centaines de femmes, pauvres pour la plupart (à l’exception de quelques touristes étrangères), dans une telle zone de non-droit ?
Les étoiles mortes, ce pourrait bien être elles, ces femmes disparues à tout jamais, victimes de la laideur du monde et de la folie des hommes. C’est aussi celles de la littérature, ces auteurs disparus prématurément à cinquante ans et dont l’œuvre survit avec une brllance intacte. Stieg Larsson, l’auteur de la trilogie Millenium, est mort en octobre 2004 à 50 ans. Roberto Bolaño avait le même âge lorsqu’il a succombé à la maladie, attendant une greffe du foie, en juillet 2003 à Barcelone.