Desproges par Desproges recueil de textes, éditions du Courroux

, par Bruno

Trente ans après sa mort en avril 1988, à seulement 48 ans, le vide laissé par Pierre Desproges est toujours béant. Sa fille, Perrine, vient de publier un livre rempli de documents et de photos inédites.

Qui était Desproges, au fond ? Pour tous ceux qui ont moins de quarante ans et qui n’en ont pas de souvenirs (mais les archives de l’INA sont vos amies), il s’agit d’un humoriste du genre (très) caustique, (extrêmement) irrévérencieux et qui maniait l’art de la provocation avec la délicatesse d’un jongleur de bâtons de dynamite. Plus personne ne pourrait aujourd’hui faire des sketchs comme les siens. Tout d’abord parce que personne n’écrit aussi bien que lui, et parce que le politiquement correct est passé par là. Autre époque.

Celle des années 70-80, c’était le temps de la télévision publique, de l’ORTF, des émissions iconoclastes comme Le petit rapporteur (animée par Jacques Martin) ou Le tribunal des flagrants délires (de Claude Villers) à la radio. C’est là que Desproges, qui avait auparavant cumulé des emplois improbables (vendeur de fausses poutres de charpente en polystyrène) et écrit pour quelques journaux (Bonne soirée, L’Aurore...) sort de l’anonymat et commence à être connu.

Au coin du feu avec Le Luron

S’il l’est moins que les deux monstres médiatiques que sont Thierry Le Luron et Coluche, bien meilleurs que lui sur scène ou sur les plateaux, sa réputation s’élargit rapidement. Avec le premier, il fait une tournée en 1977, baptisée Causerie au coin du feu, où il joue le rôle du journaliste complaisant (Delahousse n’a finalement rien inventé) face à un pseudo Giscard plus dingue que nature.


 

Il écrit des chroniques pour Pilote et Charlie-Hebdo, fait du théâtre avec Evelyne Grandjean, quelques émissions télé, et commence à publier des livres, qui auront un grand succès et sont toujours réédités : le manuel du savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis (1981), Vivons heureux en attendant la mort (1983), Des femmes qui tombent et Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis (1985), Chroniques de la haine ordinaire (1987), et, après sa mort, l’Almanach (1988), Fonds de tiroir (1990) et Les étrangers sont nuls (1992) [1].

Son dernier spectacle

Après sa mort, car, atteint d’un cancer des poumons à un stade irréversible, il meurt en avril 1988, un mois avant ses 49 ans, et quelques semaines après son dernier spectacle à Aix-en-Provence, auquel j’ai eu la chance d’assister. En février, il faisait ce qui était sans doute sa dernière apparition à la télé, dans l’émission L’assiette anglaise de Bernard Rapp, et où il se plaignait... d’une côte cassée.


 

Qui était Desproges ? Un homme bourré de talent et pétri de contradiction. Né d’une famille aisée, envoyé en Algérie au service militaire, élevé dans un milieu catholique, il pouvait facilement se dire artiste dégagé, renvoyant la droite et la gauche dans les poubelles de l’histoire et assimilant un peu trop vite le communisme au nazisme, dans un amalgame des extrêmes que ne renieraient pas les ultralibéraux contemporains. Ça ne l’empêchait pas de sortir des formules fulgurantes, comme celle-ci, en 1984 : « que choisir ? La gauche ou Mitterrand ? » Difficile d’être plus clairvoyant, à l’époque ou Tonton commençait à faire de l’œil à Bernard Tapie et à réhabiliter l’entreprise...

Moins réac que lui...

Son côté vieille France indécrottable (l’amour de la langue, de la gastronomie, du vin, des porte-jarretelles) peut agacer, mais longtemps avant que ce ne soit à la mode (si tant est que ça le soit), il a toujours manifesté le plus grand respect pour les femmes, s’est occupé de ses filles quand il fallait les nourrir et les changer au milieu de la nuit, était foncièrement antiraciste (au point d’insulter un chauffeur de taxi s’étonnant qu’il habite dans un quartier « plein d’Arabes ») et vomissait les pseudo-intellectuels pontifiants, sans même parler des Académiciens.

Il ne reniait pas l’humour absurde qui le rapprochait de la période précinématographique de Woody Allen, même si lui se revendiquait plutôt héritier de Marcel Aymé, Francis Blanche, Jean Yanne et Sempé. Mais quand il écrit « Adolf Hitler est détesté d’une foule de gens. Mais demandez-leur si c’est le peintre ou l’écrivain qu’ils n’aiment pas, ils restent cois » c’est bien à Woody qu’on pense immédiatement.

En 1982, pour FR3, il réalise la Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, des petites pastilles dans la veine des Shadoks, provoquant le même type de réactions outragées que quinze ans plus tôt :


 

Il était aussi capable de tournures superbes, comme celle-ci, écrite à propos de la sortie de son Dictionnaire : « Mon dictionnaire n’est pas inutile. Il est superflu. Le superflu n’est inutile qu’à ceux qui pensent que le nécessaire est suffisant. » Ce n’est pas pour rien que le livre, dans lequel sa fille Perrine a rassemblé des dizaines de documents inédits (textes manuscrits, photos personnelles), s’achève par une page blanche (le verso d’une feuille de brouillon) sur laquelle sont dactylographiés ces sept mots : « et maintenant, observons une minute de silence ».