On ne va pas faire la comparaison à chaque fois, et pourtant elle s’impose : à l’indigence du scénario pour parc d’attraction de Star Wars (la série principale, pas les spin-off) répond la richesse et la maturité de l’histoire développée par Daniel Abraham et Ty Franck dans The Expanse. Actes Sud, qui publie la saga en France, en est au tome 4 (Les feux de Cibola) alors que les auteurs en ont déjà écrit sept [1].
Pour ce quatrième épisode, les auteurs nous déposent avec James Holden sur une planète située dans un système solaire lointain, au-delà de la porte d’Abaddon, dans l’orbite d’Uranus. Une porte construite par une entité extraterrestre au-delà de laquelle les règles de l’espace-temps ne s’appliquent plus, et donc où tout est possible...
Ilus, également appelée New Terra, est une planète habitable dotée d’une atmosphère respirable, d’un continent unique et d’un océan. Ainsi que d’étranges vestiges extraterrestres qui font dire à un personnage que « toute la planète est une scène de crime » (Alien, si tu m’entends...). Surtout, son sous-sol regorge de lithium, le métal préféré des fabricants de batteries. Autant dire de l’or pour une civilisation du 23e siècle. Et qui dit or, dit ruée vers.
Quelques centaines de colons ont pris de court l’administration spatiale et se sont installés sur Ilus pour en exploiter les gisements de lithium, le revendre et acheter avec tout ce dont ils ont besoin pour améliorer l’ordinaire. Ce n’est évidemment pas du goût de la RCE, la Royal Charter Energy, une compagnie qui veut faire main basse sur la ressource en vertu d’un mandat des Nations Unies.
Ceinturiens contre Terriens en milieu hostile
Vous l’aurez deviné, nous voici dans un contexte typique de western, avec des squatters qui s’accrochent à leur bout de terre poussiéreuse et qui se battent contre la milice armée par la RCE. Les premiers sont des Ceinturiens, autrement dit les Indiens dans The Expanse, et les seconds sont des Terriens, l’équivalent des Blancs impérialistes. Entre les deux, une mission de médiation dirigée par James Holden.
Le conflit au sol entre les trois parties (les squatters, la milice et le médiateur) fait écho à l’équivalent en orbite entre les trois vaisseaux, le Barbapiccola (qui a transporté les migrants et doit convoyer le lithium en retour), le Edward Israel (envoyé par les Nations Unies avec le personnel de la RCE et une équipe scientifique) et le Rossinante, l’engin de guerre de James Holden.
Le corps humain comme ressource minière
Le décor ainsi planté, les auteurs peuvent dérouler une intrigue au moins aussi géopolitique que spatiale. Comme toujours dans la saga, il est question d’accès aux ressources, de survie, de partage ou d’expropriation, autant de choses dont l’espèce humaine semble s’être faite une spécialité.
Mais avec cette aventure au sol, The Expanse explore aussi la manière dont des organismes étrangers se contaminent mutuellement. Elvi, une des scientifiques de l’expédition terrienne, est ainsi chargée d’analyser la flore et la faune locale. Sans illusion sur les risques encourus : pour tout ce qui vit sur Ilus, les êtres humains sont des ressources.
« Si nous nous plaçons dans la perspective de l’environnement local, nous sommes des bulles d’eau, des ions, des molécules à haut rendement énergétique. Nous ne sommes pas exactement du goût de ce qu’il y a par ici, mais ce n’est qu’une question de temps avant que quelque chose ne trouve un moyen de les exploiter [...] Lorsque que quelque chose ici trouvera comment avoir accès à nous en qualité de ressources, ce sera probablement plus comparable à l’exploitation minière. »
Le retour de bâton ou l’exploiteur exploité
Autrement dit, à colonisateur, colonisateur et demi ! C’est une des trouvailles subtiles de The Expanse : cette expansion folle et incontrôlée dans l’univers — qui fait évidemment écho à l’impérialisme et à la surexploitation qui est en train d’achever la Terre dans le monde réel — se paie à un prix très élevé, une sorte de retour de bâton au niveau cellulaire qui fait de chaque corps humain un garde-manger en puissance.
Une fois ces 620 pages avalées, on ne peut qu’espérer beaucoup dans l’adaptation télé de ce volume. Les décors d’Ilus, avec ses habitations précaires, ses tempêtes de sable, ses vestiges extraterrestres abandonnés depuis un milliard d’années et ses squatters prêts à tout pour ne pas être dépossédés sont potentiellement de magnifiques décors de cinéma. Si la série (dont le tournage de la troisième saison est désormais terminé) est à la hauteur des romans, de longues heures passionnantes nous attendent.