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Après la chute

Dans la lignée de son perturbant Shutter Island, Dennis Lehane brouille les pistes avec son dernier roman, où l’art de la fiction est poussé à l’extrême.

On pourrait commencer l’histoire ainsi : Rachel et Brian sont sur un bateau. Rachel tire, Brian tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste ? Une histoire particulièrement embrouillée où tout ce qui semble vrai pourrait bien être faux, et inversement. Ça vous rappelle quelque chose ? Shutter Island, bien sûr. En 2003, Dennis Lehane avait écrit un roman vertigineux sur le thème de la folie et du dédoublement de personnalité qui nécessitait de tout reprendre au début une fois le livre terminé.

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Depuis, outre un dernier épisode de la série policière Patrick Kenzie/Angie Gennaro, il s’était aventuré avec plus ou moins de réussite dans le roman historique, la série Coughlin. Le voilà de retour sur des romans « one shot » comme Mystic River ou donc Shutter Island. Libéré de l’obligation de préserver une éventuelle suite, Lehane retrouve toute latitude pour balader le lecteur dans des fausses pistes déstabilisantes.

Y parvient-il dans Après la chute ? En partie seulement. Le roman souffre d’abord de ne pas choisir entre plusieurs options : récit psychologique sur la quête du père, implosion lente d’un couple construit sur des sables mouvants ou thriller dans lequel les personnages jouent un jeu dangereux dans lequel ils ont tout à perdre ? Chacune des deux auraient mérité de prendre toute la place, d’où une certaine frustration.

L’histoire souffre aussi de couvrir une période trop longue, alors que toute la deuxième partie se déroule sur quelques heures. Comme si Lehane avait hésité entre la temporalité de ses romans historiques et celles de ses thrillers nerveux qui s’achèvent le plus souvent dans une course contre la montre où des vies sont en jeu.

Dommage, car les deux personnages principaux, Rachel Childs avec sa mère possessive, son père inconnu et ses crises de panique qui l’obligent à rester enfermée chez elle, et Brian Delacroix, époux trop parfait pour être honnête dont les zones d’ombre s’élargissent quand l’histoire avance, sont suffisamment riches et complexes pour faire avancer l’histoire et entraîner le lecteur.