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Sapiens, une brève histoire de l’humanité

Paru en 2015, l’essai dérangeant et gonflé d’un professeur d’histoire médiévale a connu un succès mondial. Et ce, alors que Sapiens, c’est-à-dire vous et moi, voit son histoire approcher de son terme, après avoir dévasté la planète.

A 42 ans, Yuval Noah Harari est à la fois le produit de son époque et l’un de ses plus perspicaces observateurs. Professeur d’histoire israélien, bouddhiste et adepte de la méditation, homosexuel vivant dans une coopérative agricole et végétalien, il échappe à peu près à tous les stéréotypes de l’Occidental moyen. En 2011, alors qu’il enseigne à Jerusalem l’histoire militaire médiévale, il publie un livre tiré à 5000 exemplaires, Une brève histoire de l’humanité. Trois ans plus tard, son ouvrage est traduit en anglais et publié à Londres sous le titre de Sapiens, et connaît un immense succès, avec plus de six millions d’exemplaires dans trente langues.

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Qu’est-ce qui fait de ce livre, qui prétend raconter en moins de 500 pages rien de moins que l’histoire de l’humanité, quelque chose de différent ? Probablement sa propension à démonter les idées reçues. Par exemple, que Neandertal a disparu parce qu’il était moins intelligent que Sapiens. Ou que la période des chasseurs-cueilleurs, avant la révolution agricole, voyait les humains vivre en harmonie avec la Nature.

Faux, répond Harari. Neandertal était équipé d’un cerveau plus volumineux que le nôtre, et était plus résistant aux conditions climatiques extrêmes. Quant aux chasseurs-cueilleurs, ils ont provoqué des extinctions massives d’espèces animales, notamment des mégafaunes australienne (il y a 45 000 ans) et américaine (16 000 ans) qui n’avaient rien demandé à personne.

Inventer des histoires, l’arme absolue

La clé de la réussite improbable de Sapiens (l’homme, pas le livre), selon Yuval Noah Harari, c’est moins la domestication du feu et des outils, arguments habituellement avancés. Le déclencheur, c’est la fiction. Plus exactement, la capacité à inventer des histoires et des mythes fondateurs qui fédèrent non pas des bandes de quelques dizaines d’individus, mais des milliers, voire des millions, autour d’un projet commun : la construction des pyramides, la conquête du continent américain et le voyage vers la Lune.

Mais le plus iconoclaste est sans doute le 19e et avant-dernier chapitre, intitulé « Et ils vécurent heureux ». Le genre de question qui n’est jamais abordé dans une perspective historique, tant est ancrée profondément l’idée progressiste d’une évolution du genre humain vers un avenir meilleur, débarrassé des calamités naturelles et des guerres fratricides.

Après le mammouth, ressusciter Neantertal

La réalité est un peu différente. Selon Yuval Noah Harari, la révolution agricole n’a pas vraiment amélioré le sort des individus par rapport à celui des chasseurs cueilleurs dont le mode de vie était bien meilleur en terme de variété d’alimentation, de santé et de liberté. Ne parlons même pas de la révolution industrielle qui s’est bâtie sur l’esclavage et la surexploitation d’une main-d’œuvre misérable.

« La plupart des livres d’histoire sont intarissables sont intarissables sur les structures sociales qui se tissent et s’effilochent, sur l’essor et la chute des empires, sur la découverte et la propagation des techniques. En revanche, ils n’ont rien à dire quant à l’influence de tout cela sur le bonheur et la souffrance des individus. C’est la plus grosse lacune de notre intelligence de l’histoire. Nous ferions bien de commencer à la combler. »

Un point de vue très iconoclaste développé par Harari — qui accorde une grande place à un thème largement oublié, celui des espèces animales — est celui que la dégradation écologique de la planète n’est pas la même chose que la rareté des ressources :

« L’avenir pourrait bien voir Sapiens prendre le contrôle d’une corne d’abondance de matériaux nouveaux et de nouvelles sources d’énergie tout en détruisant simultanément ce qu’il reste de l’habitat naturel et en provoquant l’extinction de la plupart des autres espèces. »

Une fois la Terre conquise et ses ressources naturelles méticuleusement pillées, Sapiens n’a rien trouvé de mieux que de s’amuser avec la matière. Les espèces disparaissent à une cadence accélérée ? Pas grave, on va ressusciter les mammouths après avoir cartographié leur génome. Vous trouvez ça stupide ? Vous n’avez encore rien vu. Un professeur de l’université de Harvard a suggéré d’implanter de l’ADN de Neandertal dans des cellules de Sapiens pour mettre au monde un petit Neandertalien, dont l’espèce a disparu il y a 30 000 ans. Amusant, non ?

Le cauchemar du dessein intelligent

La vision plutôt noire de Yuval Noah Harari se prolonge au-delà de Sapiens par un autre ouvrage, Homo Deus, où il imagine comment l’espèce humaine va muter dans les prochains siècles en remplaçant le principe de la sélection naturelle cher à Darwin par quelque chose d’effrayant, appelé le dessein intelligent, que ce soit par le génie biologique, le génie cyborg ou le génie de la vie inorganique. Le tout aboutissant à une caste de surhommes ayant aboli par la technique le vieillissement et la maladie.

« Des canoës nous sommes passés aux galères puis aux vapeurs et aux navettes spatiales, mais personne ne sait où nous allons. »