Dès la couverture, Catel Muller annonce la couleur : Sa Benoîte Groult, poseuse et souriante, affirme qu’elle n’aime pas la bande dessinée. Trop tard ! Après avoir raconté la vie tumultueuse de Kiki de Montparnasse, puis celle d’Olympe de Gouges (avec José-Louis Bocquet au scénario), Catel a pris dans ses filets une des figures du féminisme contemporain. Son Ainsi soit Benoîte Groult, clin d’œil au Ainsi soit-elle (1975) de cette dernière, est à mi-chemin de la biographie et du making-of. A l’instar de Art Spiegelman avec Maus, l’auteure se met en scène et devient un personnage de l’histoire qu’il est en train d’écrire.
<media1678|embed|right|class=shadow>Le procédé n’est pas nouveau, mais il fonctionne bien. Catel intègre ainsi des croquis qu’elle prend sur ses carnets, les fait annoter à la main par Benoîte Groult, qui va progressivement réviser ses jugements définitifs sur le neuvième art. Là, l’histoire ressemble à celle des Ignorants d’Etienne Davodeau, où l’auteur se donnait pour mission de convertir un vigneron à la BD, en échange d’une initiation à l’œnologie.
L’histoire de Benoîte Groult est pleine de paradoxes. Issue d’une famille bourgeoise avec une mère libérée mais horriblement directive envers ses filles, elle sera mariée plusieurs fois, veuve à deux reprises pendant la guerre, a eu recours à l’avortement dans des conditions compliquées, a connu des compagnons machos (Georges de Caunes notamment, qui ne sort pas grandi) ou au comportement casanovesque, et n’est venue au féminisme que sur le tard, dans la mouvance d’après Mai 68.
C’est donc entre cinquante et soixante ans qu’elle publie Ainsi soit-elle, qui la fait entrer de plain pied dans le cercle des grands auteurs féministes. Elle travaille ensuite, aux côtés de la ministre des droits de la femme Yvette Roudy, à la commission de la féminisation des noms de métiers et écrit une biographie d’Olympe de Gouges.
Avec ses maisons en Bretagne, à Hyères et son appartement parisien, Benoîte Groult ne renie pas ses origines de grande bourgeoisie. Elle ne dédaigne pas non plus les honneurs (décorée de la Légion d’Honneur par François Mitterrand, qui fut son amant) et admet avoir eu recours à la chirurgie esthétique pour effacer les traces du temps. Et c’est vrai qu’autant dans les dessins de Catel que dans des vidéos récentes où elle apparaît, Benoîte Groult semble n’avoir guère plus de 70 ans...
Mais ce qui la maintient si jeune, c’est sans doute son appétit de vie, sa combativité de chaque instant, sa curiosité insatiable, son amour de l’écriture et son regard non conventionnel sur les choses. Catel saisit ces instants-là, comme quand Benoîte dégaine une lettre trouvée dans sa boîte aux lettres de Hyères, où un escort-boy spécialisé dans le quatrième âge lui propose quelques prestations tarifées. Il aura droit à une réponse, avec quelques conseils orthographiques...
Catel, qui est à bonne école, chambre gentiment son aînée en la surnommant Benoîtine (comme Bécassine ou Agrippine, autres personnages féminins célèbres de la BD). Mais elle sait aussi capter les moments plus profonds, comme lors de ce repas familial en Alsace, où Benoîte avoue : « Je me sens si vivante quand je prends mon stylo pour écrire [...] Le printemps est en moi. » Que dire de plus ?
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